
Lorsque les taux d’intérêt à long terme ont commencé à augmenter en septembre dernier, le fonds obligataire flexible de Carmignac a vu ses performances s’améliorer petit à petit. « La duration constitue pour nous le principal facteur de rendement », déclare Guillaume Rigeade, Co-Head Fixed Income chez le gestionnaire français de niche.
Les investisseurs obligataires sont-ils par définition à la merci des taux d’intérêt ? Pas si on leur accorde une certaine liberté et flexibilité, telle’rait être la philosophie du fonds Carmignac Portfolio Flexible Bond.
Bien sûr, les fluctuations des taux d’intérêt finissent toujours par dicter les rendements des fonds obligataires. Entre 2015 et 2020, une période marquée par une relative stagnation des taux d’intérêt, ce fonds – qui pèse environ 1,6 milliard d’euros – n’a pas enregistré de rendement significatif. Et au cours de la catastrophique année 2022, ses gestionnaires n’ont pas pu éviter un rendement négatif. Cela dit, avec une perte limitée à 7,65 %, le fonds a encore relativement bien résisté, car la plupart des indices ont affiché des pertes avoisinant les 15 %.
Cependant, des nouvelles défavorables – voire l’absence de nouvelles – sur le front des taux d’intérêt ne signifient pas forcément de mauvaises performances pour les investisseurs obligataires, comme l’a démontré le cru 2024 pour le fonds Carmignac, qui a enregistré une performance de 5,4 % sur l’ensemble de l’année. L’essentiel de cette performance s’est concentré sur les derniers mois, alors que les taux d’intérêt étaient en forte hausse et que le taux américain à 10 ans avait même augmenté d’un point de pourcentage.
Guillaume Rigeade (photo), co-responsable de l’équipe obligataire de Carmignac depuis l’an dernier, nous explique pourquoi : « Autrement dit, nous avions anticipé ce mouvement, c’est pourquoi nous avons inversé la sensibilité aux taux d’intérêt de la quasi-totalité du portefeuille. Habituellement, cette sensibilité est réduite en raccourcissant la duration, mais nous avons pris la décision, à ce moment-là, de rendre la duration négative afin que la hausse des taux se traduise par un rendement en hausse plutôt qu’en baisse. » Pour ce faire, le fonds a pris une position courte sur des obligations à long terme, avec une série de futures, de swaps et d’options.
Carmignac a ainsi misé pleinement sur la conviction que le manque de discipline budgétaire (tant aux États-Unis qu’en Europe) conduirait inévitablement à une hausse des taux d’intérêt. « Les difficultés en France et en Allemagne ainsi que les dépenses publiques colossales des États-Unis ne pouvaient que conduire à une hausse des taux d’intérêt. Par ailleurs, nous n’anticipions pas de nouvelles baisses de taux par les banques centrales : l’inflation est en effet assez élevée et la croissance économique demeure solide, en particulier aux États-Unis. Pour ces raisons, une baisse des taux directeurs n’est ni nécessaire ni envisageable », affirme Guillaume Rigeade.
Mandat
Tous les fonds ne disposent pas de la latitude nécessaire pour utiliser massivement des produits dérivés afin de traduire une telle conviction en stratégie d’investissement, mais le fonds Carmignac a le mandat pour le faire. « Nous poursuivons deux objectifs », explique Guillaume Rigeade. « Le premier est de surperformer le marché, et le second de générer un rendement positif, y compris dans des conditions défavorables. Atteindre ces deux ambitions n’est possible qu’avec une approche flexible. »
Concrètement, cela implique tout d’abord une gestion active, avec la duration comme principal levier. Celle-ci peut varier entre 8 et -3 ans. À titre d’exemple, la duration du fonds a oscillé l’année dernière autour de 3 ans jusqu’en mai dernier, avant d’être réduite à -0,8 an en octobre et novembre, puis relevée à partir de décembre pour atteindre environ 1,5 an actuellement.
Ensuite, explique Guillaume Rigeade, être « flexible » signifie que le fonds n’est pas adossé à un indice de référence. « Un indice de référence pourrait nous limiter dans nos choix, ce que nous voulons éviter. Enfin, être flexible c’est aussi disposer d’un large éventail d’options : le fonds peut investir dans n’importe quel type d’obligation, y compris les CLO (Collateralized Loan Obligations). Si nous identifions une opportunité, nous pouvons la saisir. »
Obligations financières
Actuellement, cela signifie une allocation répartie entre environ 15 % d’obligations d’État, plus de 50 % d’obligations d’entreprises et 16 % d’instruments des marchés monétaires. Les obligations d’entreprises sont majoritairement européennes (65 %), avec une forte exposition à l’Italie, au Royaume-Uni et à la France. Au sein de cette catégorie, Guillaume Rigeade se dit particulièrement intéressé par les obligations financières, un segment dans lequel Carmignac a désormais fortement investi. « Il s’agit de titres de créance émis par des institutions financières, dont le niveau de séniorité se situe entre les obligations et les actions. Leur atout est surtout que les risques sont très faibles. »
Cela s’explique principalement par la bonne santé financière des banques européennes. « Ces dernières années, la BCE a accompli un excellent travail à cet égard. Après la crise financière de 2007/2008, les banques ont été contraintes d’assainir leurs bilans, ce qui a rendu le secteur beaucoup plus solide qu’il y a quinze ans. Aujourd’hui, les banques sont beaucoup mieux capitalisées. J’irais même jusqu’à affirmer que l’Europe ne présente plus de risques systémiques à cet égard. »
Provisions
Les banques disposent également de provisions supplémentaires, car la récession économique (largement anticipée) ne s’est pas produite en 2023 et 2024. « Après la mini-crise bancaire aux États-Unis en mars 2023, la plupart des banques européennes ont constitué des provisions pour se prémunir contre des scénarios défavorables. Cependant, ces scénarios ne se sont pas concrétisés. Ces réserves contribuent donc aujourd’hui à renforcer la solvabilité des banques européennes, réduisant ainsi le risque de crédit pour les investisseurs dans ces titres de créance », conclut Guillaume Rigeade.