Les grandes entreprises technologiques telles qu’Amazon, Google et Oracle accélèrent le développement de leurs activités dans le domaine de l’énergie nucléaire, suscitant un intérêt croissant chez les investisseurs en actions et en ETF liés à ce secteur. Cependant, des préoccupations émergent quant à de potentielles stratégies de type pump-and-dump sur ce marché en plein essor.
Au cœur de cette montée en puissance du nucléaire figurent les petits réacteurs modulaires, ou Small Modular Reactors (SMR). La semaine dernière, la décision d’Amazon d’investir 500 millions de dollars dans trois entreprises : Dominion Energy, X-energy et Energy Northwest, a fait la une. L’électricité produite par ces trois acteurs alimentera les centres de données d’Amazon, essentiels pour la croissance de l’IA.
De son côté, Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, a également dévoilé des projets pour un centre de données entièrement alimenté par l’énergie nucléaire. Google a quant à lui annoncé sa collaboration avec Kairos Power, dans l’objectif de mettre en service le premier SMR en 2030.
« Les centrales nucléaires traditionnelles sont coûteuses, leur construction s’étend sur plusieurs années et elles sont conçues pour une distribution d’énergie à grande échelle via le réseau national », explique Dimitrii Ponomarev, ETF Product Manager chez VanEck, à Investment Officer. Les SMR constituent une alternative intéressante : ils sont plus compacts, plus rentables, et peuvent être installés directement sur site. »
Engouement pour l’énergie nucléaire
Les investisseurs se montrent de plus en plus enthousiastes à l’égard de l’énergie nucléaire. Oklo, une entreprise de pointe dans les technologies nucléaires avancées basée à Santa Clara, a vu le cours de son action bondir de 200 % le mois dernier, la moitié de cette hausse ayant été réalisée en l’espace d’une seule semaine.
Cependant, tout le monde n’est pas convaincu du succès à long terme sur le marché. Roderick van Zuylen, fondateur de Night Watch Investment Management, reconnaît le potentiel des SMR, mais avertit que la traduction de cette technologie en gains boursiers est plus complexe qu’il n’y paraît.
« L’énergie nucléaire séduit les investisseurs, mais elle attire aussi des promoteurs de titres et acteurs un peu louches, avertit Roderick van Zuylen. Ces promoteurs ne ménageront pas leurs efforts pour séduire les investisseurs, en leur faisant miroiter l’importance de l’énergie propre à l’avenir et en citant les investisseurs prestigieux qu’ils auraient su convaincre. Mais en réalité, bon nombre de ces entreprises sont des start-ups sous-financées, encore à des années de la phase de commercialisation. Les initiés quitteront probablement le navire avant que ces entreprises ne deviennent viables, laissant les investisseurs particuliers supporter les pertes. »
Cette année, plusieurs actions liées à l’énergie nucléaire ont grimpé en flèche. NuScale Power, cotée sous le ticker SMR, a vu son cours bondir de 40 % la semaine dernière, soit une hausse de 541 % depuis le début de l’année. Nano Nuclear Energy a enregistré une progression similaire, dépassant 400 %, malgré l’absence de revenus. Ces hausses vertigineuses soulignent le caractère hautement spéculatif de ce secteur.
Demande croissante d’énergie
La principale force derrière ces augmentations est indéniablement l’appétit insatiable en énergie de l’intelligence artificielle (IA). Les besoins énergétiques pour faire fonctionner des systèmes d’IA tels que ChatGPT ont considérablement augmenté la demande de traitement de données chez les grandes entreprises technologiques.
Selon la World Nuclear Association, la capacité nucléaire mondiale devrait passer de 391 gigawatts à la mi-2023 à 686 gigawatts d’ici 2040. Les analystes prévoient que la demande d’uranium augmentera de 28 % d’ici 2030 et qu’elle aura presque doublé en 2040, à mesure que les pays renforcent leur recours à l’énergie nucléaire pour atteindre leurs objectifs climatiques.
« L’ampleur de cette croissance pourrait faire de l’énergie nucléaire la seule source capable de répondre à cette demande colossale, explique Dimitrii Ponomarev. Sa capacité à produire d’importantes quantités d’énergie de manière efficiente en fait la solution idéale pour relever les défis de notre monde assoiffé d’énergie. »
L’ETF VanEck Uranium and Nuclear Technologies Ucits a enregistré une hausse de 30 % au cours du mois dernier. Le géant texan de l’énergie Vistra Corp s’est distingué, enregistrant la meilleure performance de l’année sur le marché américain, avec une augmentation de 237 % de son cours boursier, si bien qu’il a même surpassé le géant technologique Nvidia dans l’indice S&P 500.
Durabilité
Grâce à ses faibles émissions, l’énergie nucléaire s’impose comme incontournable pour la transition vers des sources d’énergie durables. En Europe, l’énergie nucléaire est de plus en plus considérée comme un pilier essentiel du mix énergétique propre. La Suisse, par exemple, rejetait encore l’énergie nucléaire en 2017, mais a cette année autorisé la construction de nouvelles centrales.
Des pays comme le Japon, les États-Unis et le Royaume-Uni abandonnent le charbon et adoptent l’énergie nucléaire en tant que solution d’avenir pour répondre à leurs besoins énergétiques. « Ce n’est pas nécessairement « vert », mais c’est plus propre, et cela fait une différence importante pour les entreprises en quête de sources d’énergie fiables et durables », explique Dimitrii Ponomarev.
La difficile montée en puissance
Malgré l’optimisme, des défis majeurs subsistent. Les récents dépassements de coûts dans la construction de centrales nucléaires conventionnelles, comme l’extension de Vogtle en Géorgie et la centrale de Summer en Caroline du Sud, illustrent les risques inhérents à ces projets. Westinghouse, l’entrepreneur en charge des deux projets, a fait faillite en 2017, entraînant presque dans son sillage sa maison mère, Toshiba.
« Les réglementations strictes en matière d’environnement et de sécurité entourant le nucléaire signifient que les coûts dépasseront systématiquement les prévisions », avertit Roderick van Zuylen.