
Un nombre croissant de sociétés de gestion américaines estiment que le dollar va structurellement s’affaiblir sur le long terme. Cette tendance prend d’autant plus d’ampleur alors que la présidente de la BCE, Christine Lagarde, et le gouverneur de la banque centrale chinoise, Pan Gongsheng, appellent à un système monétaire multipolaire.
DoubleLine Capital fait partie d’un nombre croissant d’acteurs qui mettent en garde les investisseurs institutionnels contre un affaiblissement du dollar. La société signale des changements structurels sur les marchés mondiaux des devises, qui ne peuvent plus être considérés comme des phénomènes conjoncturels. Dans un entretien accordé à Investment Officer, Bill Campbell, gestionnaire de portefeuille de la société basée à Los Angeles, explique que les liens traditionnels entre le dollar, les taux d’intérêt américains et l’appétit mondial pour le risque sont en train de s’effriter.
« Nous pensons que plusieurs forces exerceront une pression sur le dollar à moyen terme, affirme M. Campbell. Il ne s’agit pas d’une vision tactique, mais bien d’un phénomène structurel. »
« Surréaliste »
Ses commentaires font suite à une émission diffusée sur le web par le fondateur de DoubleLine, Jeffrey Gundlach, au début du mois, dans laquelle il qualifiait de « surréalistes » les récentes fluctuations du cours du dollar.
Dan Ivascyn, CIO du groupe Pimco, le plus grand gestionnaire d’obligations au monde, constate également un désintérêt progressif pour le dollar, les obligations d’État américaines et d’autres actifs américains tels que les actions et les obligations d’entreprises. Selon lui, de nombreux actifs américains affichent actuellement des valorisations élevées. « Nous pensons que la position exceptionnelle des États-Unis s’affaiblira quelque peu dans les années à venir. Cela offre des opportunités sur les marchés les plus performants, tant dans les économies développées que dans les économies émergentes. »
Le dollar a déjà perdu près de 9 % par rapport à un panier de grandes devises cette année, signant son plus mauvais premier semestre depuis 1985.
Plus forte sous-exposition nette en 20 ans
Selon la dernière enquête menée par Bank of America auprès des gestionnaires de fonds mondiaux, les investisseurs n’avaient jamais été autant sous-exposés au dollar depuis 20 ans, en termes nets.
La position courte sur le dollar fait désormais partie des trois positions les plus actives au niveau mondial. Alors que les attaques de l’armée américaine sur l’Iran ont permis un léger redressement, le tableau reste globalement sombre.
Marché baissier pour le dollar
M. Gundlach souligne la rupture des corrélations classiques entre les marchés, telles que la hausse des rendements des obligations d’État américaines malgré la faiblesse des marchés boursiers et l’affaiblissement du dollar. Selon le CEO, c’est le signe d’un possible changement de régime. « Chaque fois que le S&P a baissé, le dollar a augmenté. Pas cette fois. Je pense que le billet vert se trouve dans un véritable marché baissier. »
Selon M. Campbell, il ne s’agit pas seulement de mouvements de cours : il souligne que les investisseurs étrangers détiennent aujourd’hui plus de 62 000 milliards de dollars d’actifs américains. S’ils réduisent leur exposition aux États-Unis par préférence pour leur pays d’origine ou pour des raisons de diversification, cela aura un impact significatif sur le marché, prévient-il. Le gestionnaire de DoubleLine pense qu’un désengagement, même modeste, des actions, des obligations, de l’immobilier et des investissements directs pourrait exercer une pression significative sur le dollar.
Le coût de la couverture du risque de change joue également un rôle. Ces dernières années, de nombreux investisseurs étrangers n’ont pas couvert leurs positions en actifs américains, en raison des coûts élevés de la couverture et de sa faible utilité. Mais avec l’augmentation de la volatilité, cette situation est en train de changer. M. Campbell voit davantage de signes de couverture du risque de change que de ventes massives de dollars, mais ces deux tendances incitent à une plus grande prudence.
Concurrence accrue entre les devises
Ces avertissements sont lancés à un moment où les décideurs politiques en dehors des États-Unis appellent de plus en plus fermement à un système monétaire moins dominé par le dollar. La semaine dernière, Pan Gongsheng, gouverneur de la banque centrale chinoise, a déclaré lors d’un forum financier à Shanghai que le système mondial évoluait vers un équilibre des monnaies souveraines, plutôt que vers une hégémonie du dollar.
« À l’avenir, le système monétaire mondial pourrait continuer à évoluer vers un modèle dans lequel quelques monnaies souveraines coexisteraient, se feraient concurrence et s’équilibreraient », a déclaré M. Pan.
La Chine, quant à elle, développe son infrastructure de règlement basée sur le renminbi et conclut des accords bilatéraux avec ses partenaires commerciaux afin de réduire sa dépendance à l’égard du dollar. Selon les données de Swift, le renminbi est aujourd’hui la deuxième monnaie la plus utilisée pour le financement du commerce et la troisième pour les paiements mondiaux. M. Pan a également souligné que le dollar est de plus en plus considéré comme un outil géopolitique, ce qui réduit son attrait en période de tensions politiques.
Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a tenu des propos similaires dans un récent article d’opinion paru dans le Financial Times. Elle a parlé d’une opportunité « d’euro mondial » : « Le rôle dominant du dollar ne va plus de soi, écrit Mme Lagarde. Ce tournant est une opportunité pour l’Europe. »
Selon elle, le renforcement du rôle international de l’euro pourrait faire baisser les coûts d’emprunt et mieux protéger le continent contre la volatilité des taux de change. Dans le même temps, elle reconnaît que les marchés de capitaux européens ne disposent pas encore d’une profondeur et d’une intégration suffisantes pour véritablement concurrencer le système basé sur le dollar.
L’Europe profite actuellement d’une réallocation cyclique des capitaux, d’autant plus que les valorisations des actions et des obligations européennes sont devenues plus attrayantes que celles des États-Unis. Selon M. Campbell, l’augmentation des dépenses publiques allemandes et des investissements dans la défense pourrait soutenir la croissance à long terme, en attirant des capitaux supplémentaires dans la région. Il met toutefois en garde contre les obstacles structurels, tels que la profondeur limitée des marchés financiers européens et les inquiétudes concernant la viabilité de la dette dans des pays comme la France et l’Italie.
Les marchés obligataires sous pression
L’appel à une hégémonie moindre du dollar se traduit par une réduction des bilans des banques centrales. Avec la fin des programmes d’achat d’obligations des grands argentiers, un acheteur clé disparaît. Une contraction qui, selon M. Campbell, est sous-estimée et contribue à la hausse des taux d’intérêt à long terme.
La « prime de terme » aux États-Unis est actuellement estimée entre 70 et 90 points de base, ce qui représente une différence considérable par rapport à la situation d’il y a quelques années, où elle était négative. Bien que certains investisseurs considèrent encore les bons du Trésor à long terme comme une valeur refuge, M. Campbell pense que ce point de vue est en train de devenir obsolète. « Les investisseurs seront peut-être surpris d’apprendre que les obligations d’État n’offrent plus la même protection qu’auparavant, déclare-t-il. Cela a des conséquences importantes sur la façon dont les portefeuilles sont construits. »
Réduire l’exposition
DoubleLine conseille à ses clients de réduire leur exposition passive aux obligations à long terme et de privilégier les rendements à court terme et les obligations d’entreprises de haute qualité. « Les titres à revenu fixe peuvent actuellement offrir des rendements plus élevés que les stratégies de dividendes, et avec moins de volatilité », selon M. Campbell. « Mais vous devez être sélectif et agile. Le buy-and-hold ne suffit plus. »
« Le dollar n’est pas en train de s’effondrer, souligne M. Campbell, mais le changement structurel du régime du dollar est réel. […] Il s’agit d’un réalignement progressif. Le dollar ne perd pas son statut du jour au lendemain, mais si vous attendez trop longtemps pour vous adapter, les occasions manquées s’accumuleront rapidement. »
Pimco, par l’intermédiaire de Dan Ivascyn, fait valoir que l’économie américaine est résiliente, que l’environnement des entreprises est robuste et que sa force d’innovation – en particulier dans les domaines de la technologie et de l’IA – est impressionnante. « Il ne s’agit donc pas de tourner le dos aux États-Unis. »