
Les nouveaux labels ESG pour les fonds d’investissement au Royaume-Uni peinent à s’imposer. Alors que Bruxelles travaille à la révision du règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), un expert de Morningstar avertit que l’Europe ne devrait pas suivre l’exemple du Royaume-Uni.
Hortense Bioy, directrice mondiale de la recherche sur le développement durable chez Morningstar, explique à Investment Officer que l’UE devrait s’abstenir de créer des nouvelles catégories de produits, car les nouvelles règles sont rarement introduites correctement en une seule fois, entraînant des années d’ajustements qui pèsent sur le secteur sans apporter de réelle clarté.
« Je ne suis pas favorable à l’ajout de quelque chose de nouveau, même si cela peut constituer une amélioration en théorie. Il n’y a aucune justification à cela, car vous ne faites qu’introduire une complexité supplémentaire. Chaque fois que l’on ajoute quelque chose de nouveau, il faut réparer autre chose. »
Tous les experts en développement durable ne partagent pas ce point de vue. Dan Grandage, Chief sustainability officer chez Aberdeen, estime que le régime britannique, malgré ses problèmes initiaux, offre des enseignements utiles à l’UE. « Les labels britanniques ont l’avantage d’être simples et intuitifs. Pour les investisseurs, un label clair sur un produit est plus efficace que la lecture d’une multitude d’annexes », explique-t-il à Investment Officer.
L’UE à la traîne
À la suite d’un vaste examen réalisé l’année dernière, la Commission européenne travaille sur la SFDR 2.0, la révision de l’obligation de déclaration introduite en 2021. Toutefois, la mise à jour est fortement retardée par le vaste paquet Omnibus, qui rassemble des dizaines de dossiers financiers.
La principale question que se posent les investisseurs est de savoir si l’UE introduira des catégories de produits dans l’examen, telles que les fonds « durables » ou « de transition », pour remplacer ou compléter les informations fournies actuellement au titre des articles 8 et 9. Les décideurs politiques estiment que les labels fournissent des indications aux investisseurs. Le secteur craint des coûts plus élevés et une plus grande complexité.
Labels britanniques
L’autorité de régulation britannique FCA a introduit quatre labels de durabilité en 2023. Les fonds « Focus » investissent principalement dans des actifs durables. Les fonds « Impact » promettent des résultats positifs mesurables. Les fonds « Improvers » se concentrent sur les entreprises qui améliorent leurs pratiques. Les fonds « Mixed Goals » couvrent les stratégies multi-actifs.
En théorie, la classification était exhaustive. Dans la pratique, les investisseurs ont ignoré trois des quatre catégories. « Je pense que cent cinquante fonds ont été labellisé et environ trois quarts d’entre eux sont ont le label Focus », déclare Mme Bioy. La catégorie « Improvers », autrefois destinée aux stratégies de transition, a presque entièrement été ignorée.
Hortense Bioy y voit un avertissement. « Cela a créé un segment de niche de produits durables, alors qu’il existe encore de nombreux fonds, quatre fois plus nombreux, qui ont des caractéristiques ESG mais ne sont pas labellisés. »
M. Grandage estime en revanche que l’expérience britannique démontre l’importance d’une démarcation claire. « Un label oblige les gestionnaires d’actifs à expliquer clairement ce qu’ils défendent. Il est vrai que la catégorie des Improvers a mis du temps à décoller, mais cela est davantage dû au marché qu’au concept lui-même. À terme, une telle catégorie pourrait devenir essentielle pour orienter les capitaux vers des stratégies de transition », estime-t-il.
Labels ou divulgation ?
La SFDR n’a jamais été conçue comme un régime de labels. Les fonds relevant de l’article 6 ne font pas de promesses durables ; Les fonds de l’article 8 favorisent des caractéristiques environnementales ou sociales ; les fonds Article 9 poursuivent des objectifs durables. Dans la pratique, cependant, l’article 8 est rapidement devenu « vert clair » et l’article 9 « vert foncé ». Les gestionnaires d’actifs et les distributeurs ont traité la classification comme s’il s’agissait d’une certification officielle.
Mme Bioy met en garde contre la répétition de cette erreur. « Les membres de la commission disent toujours qu’il ne s’agit pas d’un régime de labels mais d’un régime de publication. Il faut continuer ainsi. Je pense que tout le monde a maintenant compris que les articles 8 et 9 ne sont pas des labels. Disons simplement qu’il s’agit d’une divulgation. »
Lassitude
Le débat intervient à un moment sensible pour l’investissement durable. Après des mois de stagnation, les flux entrants dans les fonds ESG en Europe reprennent quelque peu, mais principalement sur le marché particulier et de la gestion de patrimoine. « Ces flux ne représentent qu’une partie du marché. Il ne s’agit que de fonds, et en particulier de fonds achetés par des investisseurs particuliers et par le segment de la gestion du patrimoine. Ils ne proviennent pas des grands fonds de pension ou des investisseurs institutionnels », selon Mme Bioy.
On observe également une lassitude réglementaire. Les gestionnaires se plaignent des interminables questionnaires, annexes et révisions. Les investisseurs restent sceptiques, craignant l’écoblanchiment et l’incertitude quant aux rendements.
« L’investissement durable continuera d’exister en tant que cadre, estime Mme Bioy. Le changement climatique n’est pas près de disparaître. Les gouvernements continuent d’apporter leur soutien. Même si vous entendez que certains acteurs du marché abandonnent leurs partenariats, ils restent fidèles à leurs objectifs. De plus en plus d’entreprises se fixent de nouveaux objectifs. Ce qui manque, c’est plus d’action. »