Cela peut paraître difficile à croire, mais le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait constituer une bonne nouvelle pour les marchés obligataires européens. Alors que les investisseurs américains se préparent à un regain de protectionnisme et à des risques d’inflation accrus, le marché obligataire européen affiche des signes de résilience, voire d’attractivité.
Selon AXA Investment Managers, l’Europe pourrait devenir une valeur refuge pour les investisseurs obligataires, soutenue par une Banque centrale européenne stabilisatrice et des réformes structurelles qui ont considérablement renforcé la robustesse du continent. Cependant, certains experts jugent cet optimisme prématuré.
Nick Hayes, Head Of Active Fixed Income Allocation chez AXA Investment Managers, constate que la réaction du marché joue en faveur de l’Europe, comme en témoigne la baisse des rendements des obligations d’État européennes. Le Bund à 10 ans, référence pour la dette souveraine européenne, est passé sous la barre des 2,36 % après les premières informations évoquant une possible réélection de Donald Trump. Selon Nick Hayes, cette évolution s’explique par la volonté apparente de la BCE d’intervenir en cas d’intensification des pressions commerciales de la part des États-Unis.
Une BCE plus agressive
« La BCE pourrait réduire ses taux de manière plus agressive pour compenser l’impact des nouveaux droits de douane, tandis que la Réserve fédérale pourrait au contraire rester réticente à assouplir sa politique », a déclaré Nick Hayes à Investment Officer. Cette divergence positionne les obligations européennes comme une alternative plus stable, alors que les craintes inflationnistes s’intensifient aux États-Unis. Les investisseurs se tournent ainsi vers l’Europe pour échapper aux fluctuations des titres du Trésor américain.
Jeudi, le rendement du Bund allemand a de nouveau progressé pour atteindre 2,48 %, en réaction à l’effondrement de la coalition gouvernementale en Allemagne. Néanmoins, le spread entre le Bund à 10 ans et les titres du Trésor à 10 ans s’est creusé, pour atteindre environ 200 points de base cette semaine, contre 186 avant la réélection de Trump et environ 150 fin septembre, en raison des craintes inflationnistes aux États-Unis et des anticipations de nouvelles baisses des taux d’intérêt en Europe.
Les craintes liés à l’inflation américaine font grimper le spread Allemagne – États-Unis
Résilience croissante de l’Europe
Outre la politique accommodante de la BCE, l’Europe présente un autre atout majeur : sa résilience croissante. Après une décennie de réformes, l’Europe affiche désormais moins de déséquilibres économiques et adopte une approche budgétaire proactive. Nicola Mai, économiste chez Pimco, souligne cette évolution : « Malgré des perspectives de croissance modestes, la stabilité et la résilience accrues de la zone euro rendent les titres européens à revenu fixe attrayants. »
L’Europe est même devenue un prêteur net pour le reste du monde, ce qui représente un changement de paradigme majeur. Grâce à des mesures de soutien telles que le Plan de relance européen, la politique budgétaire a pris un tournant inédit. Laura Cooper, responsable de la stratégie d’investissement mondiale chez Nuveen, constate que les faibles taux d’intérêt des obligations européennes reflètent une demande accrue pour ces actifs. Elle prévoit que la BCE poursuivra ses baisses de taux de 25 points de base jusqu’en mars, en raison de la demande d’investissements sûrs.
Schroders appelle à la prudence
Pourtant, tout le monde ne considère pas l’Europe comme la valeur refuge par excellence. Michael Lake, directeur des investissements à revenu fixe chez Schroders, recommande la prudence. Il craint que la politique protectionniste de Donald Trump ne rende l’Europe vulnérable, en raison de sa dépendance au commerce international.
« Une politique commerciale agressive pourrait perturber le cycle commercial mondial », a prévenu Michael Lake lors d’un entretien avec Investment Officer. L’Allemagne en particulier, très dépendante de ses exportations, pourrait être directement affectée par une hausse des droits sur les importations.
Michael Lake met également en garde contre le risque de change. L’affaiblissement de l’euro pourrait soutenir les exportations, mais un cycle commercial défavorable risquerait d’intensifier la pression économique sur l’Europe. De plus, si les dirigeants européens s’engagent pour une plus grande autonomie en augmentant les dépenses de défense, cela entraînera une hausse de la dette publique et des émissions d’obligations supplémentaires, rendant ainsi le marché moins attrayant.
Couvrir le risque de change ?
La volatilité des devises représente un défi supplémentaire. Pour les investisseurs en euros exposés à des actifs en dollars américains, la couverture devient de plus en plus complexe. Les coûts, qui avaient baissé au début de l’année du fait de la première baisse des taux opérée par la Fed, sont repartis à la hausse en raison de la volatilité du mois d’octobre. Pour les investisseurs qui s’attendent à ce que le dollar reste fort, il pourrait être plus intéressant de ne pas couvrir cette exposition. En revanche, ceux qui cherchent à éviter les risques de change doivent être conscients de l’augmentation des coûts de couverture, avertit Schroders.