La rentabilité de la gestion d’actifs traditionnelle est en baisse si rapide que les sociétés de fonds européennes tentent de racheter les petits gestionnaires à un rythme soutenu. Les sociétés de capital-investissement, en particulier, sont la cible d’une consolidation accélérée.
Les gestionnaires d’actifs européens sont en quête active d’opportunités de renforcer leur position sur les marchés privés. Cela passe non seulement par l’étoffement des équipes d’investissement, mais aussi par le rachat de noms établis, une piste tout aussi intéressante.
Au mois d’avril, AXA Investment Managers, entretemps elle aussi rachetée, a fait l’acquisition de W Capital Management (WCP), acteur américain du capital-investissement. Amundi a elle aussi procédé à un rachat cette année et M&G explore également cette voie.
Andrea Rossi, CEO de M&G, a confirmé ce mois-ci être en pourparlers en vue de conclure des contrats avec des fournisseurs alternatifs en gestion d’actifs. « Je suis bien décidé à étendre nos possibilités dans les actifs privés. À suivre, donc », confiait-elle à Financial News.
Amundi, la plus grande maison de fonds d’Europe, a racheté Alpha Associates, un spécialiste zurichois des marchés privés, en dépit du fait que le CIO d’Amundi, Vincent Mortier, ait comparé, plus tôt cette année, certaines parties des marchés privés à un système de Ponzi.
Les risques inhérents à un investissement excessif dans le capital-investissement sont considérables selon Mara Dobrescu, responsable des titres à revenu fixe chez Morningstar. « De nombreux gestionnaires d’actifs se hâtent de bâtir une position dans les investissements alternatifs, ce qui peut entraîner des erreurs, comme des rachats surpayés ou le recrutement d’équipes sous-qualifiées », explique Mara Dobrescu à Investment Officer.
« La question est également de savoir, en fin de compte, combien coûteront ces produits aux investisseurs, sachant que certaines entreprises factureront potentiellement davantage en vue de compenser la baisse des revenus d’autres segments. »
Des revenus en baisse
La rentabilité des acteurs traditionnels a considérablement diminué, passant de 15 points de base par actif sous gestion en 2007 à seulement 8 points de base en 2022, selon les données du bureau de conseil Bain & Co.
Ainsi, la gestion des seuls actifs cotés traditionnels est un « modèle économique épuisé », affirme Markus Habbel, directeur mondial du département Gestion d’actifs de Bain. Les gestionnaires traditionnels doivent investir dans des actifs privés s’ils ne veulent pas disparaître, affirme-t-il.
Selon Bain, les actifs sous gestion des marchés privés devraient s’accroître de 9 à 10 % par an jusqu’en 2032 pour atteindre, à terme, un total de plus de 60 000 milliards de dollars, soit plus du double de la croissance attendue sur les marchés cotés. Les actifs des marchés privés devraient par conséquent représenter, d’ici 2032, à peu près un tiers de l’ensemble des actifs sous gestion.
Le marché semble largement partager le point de vue de Markus Habbel. « C’est devenu une question existentielle pour l’industrie », affirmait Peter Harrison, CEO sortant de Schroders, plus tôt cette année. Il décrit la situation comme une « course à l’armement » pour développer des capacités sur les marchés privés.
Un marché de croissance
Les candidats au rachat ont eux-mêmes beaucoup à gagner auprès des maisons de fonds traditionnelles. De nombreuses sociétés de capital-investissement n’ont en effet pas accès aux flux de trésorerie dont disposent les gestionnaires d’actifs.
« Elles ciblaient autrefois davantage les fonds de pension et les investisseurs institutionnels, mais ce marché est à présent en déclin », précise Han Dieperink, CIO chez Auréus. « Un gestionnaire d’actifs déjà établi leur permet d’accéder à son réseau. Il s’agit en outre souvent d’actionnaires de la première heure désireux de vendre. »
« Les marchés privés, contrairement aux fonds d’investissement actifs, sont un marché de croissance. »
Han Dieperink, Auréus
Selon Han Dieperink, la consolidation s’impose rapidement sur un marché en déclin, notamment parce que le nombre d’investisseurs actifs diminue au profit des fonds indiciels passifs. « Les marchés privés, contrairement aux fonds d’investissement actifs, sont un marché de croissance », observe-t-il.
Cette tendance à la consolidation est également motivée par le fait qu’il est généralement plus rapide de racheter une société de capital-investissement que de mettre soi-même sur pied une telle opération. Les opérations de capital-investissement sont simples à intégrer aux modèles économiques existants des investisseurs long-only traditionnels.
« Une synergie se crée partiellement entre les gestionnaires de fonds, qui partagent souvent leurs efforts de recherche. Ils ont besoin d’avocats pour créer un fonds, mais en substance, la synergie qui les lie est aussi forte qu’entre un fonds d’actions et un fonds d’obligations », poursuit Han Dieperink. « Beaucoup de choses peuvent continuer à fonctionner de façon autonome. »
Les Pays-Bas et la Belgique
Les acteurs néerlandais s’apparentent, pour l’heure, plus à des candidats au rachat qu’à des acquéreurs. Ainsi, cette année, l’investisseur immobilier néerlandais Cairn Capital est passé intégralement sous la houlette de Schroders, qui a également pris, l’an dernier, une participation majoritaire dans Greencoat Capital, spécialiste britannique des infrastructures liées aux énergies renouvelables.
En 2022, NN Group a vendu sa société d’investissement à Goldman Sachs Asset Management pour 1,7 milliard d’euros, permettant à ce dernier de considérablement renforcer sa position au sein de la gestion d’actifs européenne ainsi que ses capacités sur les marchés privés. Ce mois-ci, la société européenne de private equity BlackFin Capital Partners a annoncé son acquisition du gestionnaire d’actifs amstellodamois IBS Capital Allies.
Il semble en aller de même pour la Belgique. La semaine dernière, BlackRock a annoncé sa collaboration avec la société belge Euroclear en vue de distribuer ses fonds de marchés privés par le biais de la plateforme FundsPlace d’Euroclear. D’autres grands gestionnaires américains partent également à la conquête de l’Europe. Au mois de mars, Franklin Templeton a racheté le spécialiste européen du crédit Alcentra et ses 38 milliards de dollars sous gestion.
Han Dieperink comprend cette attractivité : « Les marges sont plus élevées dans les marchés privés. Certes, les prix y sont plus élevés que chez les gestionnaires d’actifs traditionnels, mais leur flux de trésorerie est largement prévisible car il s’agit d’investissements illiquides. Lorsque quelqu’un investit, le gestionnaire peut presque immédiatement et raisonnablement prédire quels revenus il percevra sur les douze prochaines années », explique Han Dieperink.