
La hausse des prix des matières premières pourrait relancer de manière inattendue l’inflation aux États-Unis, ce qui pourrait entraîner un transfert de revenus des pays importateurs vers les pays exportateurs.
Selon Paul Jackson, Global Head of Asset Allocation Research chez Invesco, il est peu probable que l’indice des prix à la consommation (IPC) américain dépasse 4 % en 2025. Lors d’un entretien avec Investment Officer, il met cependant en garde contre d’éventuelles surprises : « Plusieurs matières premières, comme le gaz naturel et les métaux précieux, présentent une tendance haussière, ce qui alimente l’inflation. »
Selon US Bancorp, prestataire américain de services financiers, l’indice des prix à la consommation américain, principal baromètre de l’inflation, qui est déterminé à 35 % par les prix des matières premières, est passé d’un pic de plus de 9 % à la mi-2022 à moins de 3 % fin 2024. Dans le même temps, l’inflation alimentaire et le prix du pétrole ont reculé.
Un retournement de tendance semble toutefois s’amorcer. Ou plutôt, le prix de plusieurs matières premières, comme le gaz naturel et les métaux précieux, a déjà fortement augmenté en 2024, observe Paul Jackson. Le prix du gaz naturel a bondi de près de 57 % l’année dernière, tandis que les prix de l’or et de l’argent ont chacun progressé d’environ 26 % sur la même période. « Le risque, c’est qu’une accélération de la croissance économique mondiale entraîne une augmentation de la demande, ce qui ferait grimper les prix du pétrole et des métaux industriels. »
Ce qui est frappant, avertit Paul Jackson, c’est que le consensus général table plutôt sur un ralentissement de l’inflation : « Cela rassure les investisseurs. Une reprise de l’inflation sous l’effet de la hausse des matières premières serait donc d’autant plus inattendue. »
Évolution des matières premières en 2024 en glissement annuel
« Si l’inflation repart à la hausse, la Réserve fédérale américaine disposera de moins de marge de manœuvre pour abaisser ses taux d’intérêt », développe Paul Jackson. Dans un cas extrême, elle pourrait même être contrainte de relever ses taux pour juguler l’inflation. Un scénario préoccupant, en particulier pour les pays émergents dépendants des importations de matières premières. « L’augmentation du coût de la dette extérieure et la hausse des prix des matières premières frapperaient de plein fouet les marchés émergents dépourvus de matières premières. »
Les matières premières remodèlent la répartition de richesse au sein des marchés émergents
Paul Jackson s’attend à un transfert de richesse marqué au sein des marchés émergents en cas de forte hausse des prix des matières premières. Ce scénario fera des gagnants et des perdants. « Les pays producteurs de pétrole, comme le Moyen-Orient, le Nigeria et l’Algérie, tireront parti de la hausse des prix de l’énergie grâce à leurs importantes réserves de pétrole et de gaz. »
La hausse des prix des produits agricoles finira par se répercuter sur les prix des denrées alimentaires. « L’Ukraine, avec son important secteur agricole, pourrait en profiter malgré la guerre », affirme Paul Jackson. « Le Brésil, doté d’une industrie agroalimentaire solide, pourrait également tirer avantage de ces augmentations, bien que les matières premières ne représentent qu’une part relativement modeste de son économie globale. »
Bien que la Chine soit le premier importateur mondial de matières premières, elle dispose également de réserves substantielles, si bien que l’impact de la hausse des prix des matières premières pourrait ne pas être aussi important que prévu. « Je ne m’attends pas à ce que la Chine rencontre de graves difficultés, car elle dispose d’importantes réserves de matières premières, ce qui limite quelque peu les pressions inflationnistes », explique Paul Jackson.
En revanche, les pays dépendants des importations de matières premières, comme l’Inde, seront selon lui durement touchés. « La hausse des prix de l’énergie pourrait freiner la croissance économique, d’autant que l’Inde dépend fortement des importations de pétrole et de gaz. »
Vulnérabilité de l’Europe
Fortement dépendante des importations de matières premières, l’Europe demeure vulnérable à la hausse des prix. « La guerre en Ukraine a cruellement révélé l’ampleur de la dépendance de l’Europe aux sources d’énergie étrangères. Le gaz n’est plus acheté à la Russie, mais aux États-Unis et au Moyen-Orient. Il est impératif de réduire la dépendance aux sources d’énergie étrangères. »
Seule la Norvège, grâce à ses importantes réserves, bénéficie d’une position unique et favorable pour tirer parti de la hausse des prix de l’énergie. Le pays est même en mesure d’exporter des excédents de pétrole et de gaz.Pour le reste de l’Europe, il est essentiel d’investir davantage dans les énergies renouvelables. « Si l’Europe veut réellement devenir indépendante, elle doit s’assurer un approvisionnement énergétique solide », affirme Paul Jackson (photo). « À long terme, cela permettra non seulement de réduire sa dépendance, mais renforcera également sa résilience face aux chocs économiques. ».
Certains pays ont déjà pris des mesures pour devenir autosuffisants. « La France dispose d’un secteur nucléaire très développé, tandis que les États-Unis et l’Allemagne ont investi massivement dans les énergies renouvelables afin de réduire leur dépendance. Cependant, la France devra continuer à importer de l’uranium pour alimenter ses centrales, et ne sera donc pas totalement indépendante sur le plan énergétique », explique Paul Jackson.
Événement imprévu
Outre la hausse des prix des matières premières, Paul Jackson pointe un événement imprévu : les incendies de forêt en Californie. « L’ampleur des dégâts et la reconstruction exerceront une pression supplémentaire sur les prix des matières premières, en particulier dans le secteur de la construction. Personne n’était préparé à cet imprévu, mais la reconstruction pourrait encore accentuer la hausse des prix et des salaires », prévient-il.
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