
Faut-il investir dans les cryptomonnaies ? Cette question fondamentale, tous les investisseurs se la posent. Dans un article commun, Ran Duchin, David H. Solomon, Jun Tu et Xi Wang arrivent à une conclusion surprenante et provocante.
Les chercheurs s’attaquent à un grand tabou : un sujet sur lequel tout le monde a une opinion, mais sur lequel les conseils concrets et étayés par la recherche en matière d’inclusion en portefeuille sont rares. En utilisant une théorie de portefeuille standard et robuste, ils montrent que ne détenir aucune allocation en cryptomonnaies est étonnamment difficile à justifier, même pour un investisseur pessimiste.
Le cœur du puzzle
L’intuition commune, en particulier chez les investisseurs traditionnels, est claire : les cryptomonnaies ne génèrent pas de flux financiers sous-jacents, sont extrêmement volatiles et présentent toutes les caractéristiques d’une bulle spéculative. Les comparaisons avec la « théorie du plus grand fou » ou le système de Ponzi ne sont jamais loin. La conclusion apparemment logique est donc que les investisseurs sérieux devraient éviter complètement les cryptomonnaies.
Or, l’article remet directement en question cette hypothèse. Les auteurs affirment que l’allocation zéro n’est pas un choix passif ou neutre, mais une décision d’investissement active qui nécessite une justification quantitative. C’est une supposition implicite que la contribution pondérée en fonction du risque des actifs du portefeuille est exactement nulle. Lorsqu’ils testent cette décision à l’aune des fondements de la théorie moderne du portefeuille, des failles apparaissent dans la logique de l’évitement.
Vente à découvert active
Pour justifier le fait de ne jamais acheter de bitcoins sur la base des données historiques de la dernière décennie, un investisseur devrait avoir des convictions extrêmement pessimistes dès le départ. Plus précisément, il faudrait utiliser un rendement mensuel moyen attendu de -10,6 % pour le bitcoin, ce qui représente une perte annuelle attendue de plus de 70 %. Pour un portefeuille diversifié de cryptomonnaies, les chiffres sont encore plus extrêmes : -19,6 % par mois.
L’étude montre que, d’un point de vue mathématique, la plupart des croyances justifiant une position zéro impliquent en fait que l’on devrait vendre l’actif à découvert. Ceux qui croient vraiment que les cryptomonnaies sont une bulle spéculative sur le point d’éclater devraient donc prendre une position à découvert active, selon la théorie, au lieu de rester passivement sur la touche.
Dans le même temps, l’étude ne préconise pas des positions importantes. Les pondérations optimales du portefeuille, précisément en raison de la forte volatilité, tendent à être faibles et évoluent souvent dans une fourchette de 1 à 5 %. Une forte volatilité est donc un argument de poids en faveur d’une petite position mesurée, mais pas nécessairement en faveur d’une position zéro.
La conclusion la plus frappante est peut-être que les avantages de la diversification des cryptomonnaies sont similaires à ceux des actifs traditionnels. Les auteurs calculent le bénéfice certain qu’un investisseur considérerait comme équivalent à l’ajout d’un investissement risqué. Les avantages de l’ajout d’une petite part de cryptomonnaies à un portefeuille d’actions traditionnel semblent être similaires à ceux des stratégies établies et largement acceptées, telles que la diversification internationale (ajout d’actions MSCI World ex-US). La discussion sur les cryptomonnaies se présente donc sous un jour différent : de pure spéculation à un outil de diversification potentiel.
Enfin, l’argument du coût est réfuté. Si les frais de transaction et de garde sont réels, l’analyse montre qu’il faudrait qu’ils soient extrêmement élevés – entre 21 % et 39 % de la valeur investie annuellement – pour dissuader complètement un investisseur d’effectuer des transactions. Il s’agit d’un multiple des coûts que l’on trouve dans d’autres investissements alternatifs.
Que faut-il retenir ?
La principale conclusion de cet article est que la pratique largement répandue de non-participation totale aux cryptomonnaies découle probablement davantage d’une heuristique comportementale (une simple règle empirique telle que « en cas de doute, je m’abstiens ») que d’une analyse de portefeuille rationnelle et quantitative. Les biais possibles tels que l’aversion à l’ambiguïté et la tendance à choisir l’option par défaut (zéro) jouent un rôle majeur à cet égard.
Cet article oblige les investisseurs à examiner d’un œil critique leur allocation zéro et renverse le puzzle traditionnel des cryptomonnaies. La question n’est pas tant de savoir pourquoi certaines personnes achètent des cryptomonnaies, mais pourquoi tant d’investisseurs rationnels choisissent de détenir exactement zéro, au lieu de prendre une petite position longue ou courte calculée qui serait mathématiquement optimale selon la théorie du portefeuille.
Gertjan Verdickt est professeur assistant de finance à l’université d’Auckland et chroniqueur pour Investment Officer.