Han Dieperink
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Les chiffres décevants du marché du travail américain de la semaine dernière relancent le débat sur les baisses des taux d’intérêt, mais évoquent aussi un scénario qui rappelle fortement celui de 1998, lorsque les baisses des taux d’intérêt de la Réserve fédérale ont déclenché l’essor des dotcoms. Dans le scénario « Super Boucles d’or » actuel, les effets de l’IA pourraient être encore plus importants que l’essor technologique de l’époque.

Dans son ouvrage Manias, Panics and Crashes, le regretté professeur Charles P. Kindleberger a identifié quatre conditions essentielles qui peuvent se combiner pour former une bulle. Ces ingrédients sont tous présents aujourd’hui, comme ils l’étaient à la fin des années 1990.

Premièrement, un choc externe ou un changement de paradigme – un événement qui perturbe les relations économiques fondamentales et crée de nouvelles opportunités. Dans les années 1990, il s’agissait de la commercialisation de l’Internet et de la déréglementation du secteur des télécommunications. Aujourd’hui, nous assistons à une transformation similaire avec la percée de l’IA générative, renforcée par des changements géopolitiques qui favorisent la délocalisation et la souveraineté technologique.

Deuxièmement, une innovation puissante et perturbatrice qui capte l’imagination des investisseurs, tout en étant très prometteuse dans un avenir lointain. Dans les années 1990, c’était l’Internet, une technologie qui promettait de transformer l’ensemble de l’économie. Aujourd’hui, il s’agit de l’intelligence artificielle. Comme à l’époque, les investisseurs pensent que nous sommes à la veille d’un changement fondamental dans notre façon de travailler, de consommer et de vivre.

Troisièmement, les véhicules spéculatifs qui permettent une participation massive. Pendant l’essor des dotcoms, il s’agissait d’Amazon, d’AOL, de Cisco, de Yahoo, ainsi que d’autres pionniers de l’Internet. Aujourd’hui, nous avons les Sept Magnifiques : Apple, Microsoft, Google, Amazon, Tesla, Meta et Nvidia. Ces entreprises agissent comme des mandataires de la révolution de l’IA, tout comme leurs prédécesseurs l’ont fait pour la révolution de l’Internet.

Quatrièmement, des liquidités abondantes et une politique monétaire accommodante. C’est l’ingrédient qui a manqué jusqu’à présent, mais qui pourrait être ajouté prochainement. M. Kindleberger a souligné que les bulles se produisent rarement sans des prêts abondants et des taux d’intérêt bas qui alimentent la spéculation.

Le pouvoir d’une baisse préventive des taux

De septembre à novembre 1998, la Fed a réduit ses taux d’intérêt à trois reprises : non pas parce que l’économie américaine était en difficulté, mais par précaution en raison de la crise financière asiatique et de la chute du fonds spéculatif Long Term Capital Management. Ces insurance cuts ont servi de catalyseur à la plus grande bulle spéculative de l’histoire moderne.

La situation actuelle présente des parallèles frappants. Le président de la Fed, M. Powell, indique que le taux directeur est « très proche du point neutre ». La faiblesse des données du marché du travail – avec un taux de chômage de 4,2 % et d’importantes révisions à la baisse des chiffres précédents – rend de plus en plus probable une baisse préventive des taux d’intérêt en septembre. Après tout, la Réserve fédérale a un double mandat : outre la maîtrise de l’inflation, elle doit également viser le plein emploi. De surcroît, l’emploi est un « indicateur retardé », ce qui signifie que les taux d’intérêt devraient être réduits par mesure de précaution, bien avant que le chômage ne commence à augmenter.

Des Années folles à l’intelligence artificielle, en passant par les dotcoms

Outre l’essor des dotcoms, il existe un autre parallèle historique qui mérite d’être noté : les Années folles. Cette période a également été caractérisée par une croissance explosive de la productivité, avec l’avènement de l’électricité, des voitures et des avions et, bien sûr, de la chaîne de montage, tous issus de la deuxième révolution industrielle. Aujourd’hui comme hier, les progrès technologiques résultant de la quatrième révolution industrielle créent une période d’euphorie économique au cours de laquelle les cours des actions peuvent atteindre des sommets sans précédent.

Le bond de productivité actuel est impressionnant. Les gains de productivité permettent aux entreprises d’absorber le coût des droits de douane sans nuire à leur rentabilité. En effet, malgré la taxation des importations, les marges bénéficiaires ont continué à augmenter, comme le montrent les résultats des entreprises pour le dernier trimestre.

La guerre commerciale comme catalyseur

Les efforts de Donald Trump pour réformer le système commercial mondial se basent aussi sur l’innovation et la baisse des coûts, en utilisant les avantages de productivité de l’intelligence artificielle. Ses récents accords commerciaux avec l’UE, le Japon et la Corée du Sud – dans le cadre desquels ces pays ont accepté des augmentations des droits de douane à 15 %, sans imposer de contre-mesures – pourraient entraîner d’importants flux d’exportations et d’investissements vers les États-Unis. Ces changements, associés à une incertitude géopolitique accrue, créent un besoin permanent de réduire les coûts, ce que seule la mise en œuvre de l’intelligence artificielle peut actuellement permettre.

Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.

 

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