Le week-end dernier, cela faisait deux ans déjà que le marché des actions est orienté à la hausse. Depuis son point bas du 12 octobre 2022, l’indice mondial MSCI All Countries a grimpé d’environ 50 %, le S&P 500 a progressé de 75 % et le Nasdaq a doublé – tout cela grâce aux Sept Magnifiques, un groupe d’actions qui a pratiquement triplé en valeur au cours de cette période.
Deux ans, c’est assez jeune : la phase haussière a probablement encore du potentiel. La durée d’un marché haussier est généralement déterminée par la période pendant laquelle les bénéfices continuent de croître, qui correspond souvent avec une phase de croissance économique. En règle générale, les bénéfices ne baissent que lors d’une récession. Il est encore plus difficile de prévoir une récession que de prédire les fluctuations du marché, mais l’analyse des phases haussières historiques peut fournir quelques indications.
Les phases haussières alimentées par la croissance de la productivité tendent à durer relativement longtemps, et ce sont elles qui, à travers l’histoire, ont généré les meilleurs rendements. Le marché haussier le plus emblématique reste celui des années 1920 : en huit ans environ, l’indice Dow Jones avait bondi de 500 %.
La principale raison de cette envolée boursière résidait dans une augmentation significative des bénéfices, elle-même soutenue par une hausse tout aussi marquée de la productivité, qui progressait de plus de 5 % par an grâce à la production de masse, à l’utilisation de l’électricité et à l’avènement du moteur à combustion. Les fruits de la deuxième révolution industrielle étaient enfin récoltés, avec l’automatisation de la force musculaire humaine, particulièrement visible dans l’agriculture ainsi que dans de nombreuses usines. Malgré la forte croissance de l’économie, l’inflation était restée faible grâce à cette dynamique de productivité élevée.
Porté par la consommation
Après la Seconde Guerre mondiale, le marché haussier des années 1920 a trouvé un écho dans ce qu’on appelle le Bull Consumer des années 1950 (1949 à 1966). La crise des années 1930 avait rendu de nombreux investisseurs prudents vis-à-vis des actions américaines, mais ce marché haussier porté par la consommation n’en fut pas moins impressionnant. Grâce à la reconstruction, qualifiée de Wirtschaftswunder (miracle économique) en Allemagne, l’économie a connu un redressement spectaculaire.
Par ailleurs, la prospérité s’est élargie après la Seconde Guerre mondiale, avec l’émergence d’un grand nombre de consommateurs disposant d’un fort pouvoir d’achat.
Partant d’un niveau relativement bas, la croissance économique avait été supérieure à la moyenne, tirant profit à la fois des nouvelles technologies issues de la deuxième révolution industrielle et des nombreuses innovations développées pendant la guerre.
Le marché haussier des années 1980 a été largement soutenu par la baisse des taux d’intérêt. Après les difficiles années 1970, les valorisations étaient basses, et lorsque les taux d’intérêt commencent à baisser, les choses peuvent aller très vite. Si vite que, comme souvent, la cupidité a pris le pas sur la peur, menant finalement au krach de 1987. Notons au passage que les obligations à long terme ont, en fin de compte, offert de meilleurs rendements que les actions durant les années 1980.
Bulle Internet
Le krach de 1987 a été suivi par la plus longue phase haussière de l’histoire, qui a débouché sur la bulle Internet. Ce marché haussier était lui aussi soutenu par des gains de productivité, cette fois grâce à l’avènement de l’Internet. Cette augmentation de la productivité a de nouveau permis de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas, malgré une forte croissance économique.
Rétrospectivement, Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale, a dû reconnaître qu’il avait envisagé plusieurs hausses des taux d’intérêt dans les années 1990, mais que la croissance de la productivité avait, chaque fois, permis de contenir l’inflation. En raison de cette amélioration de la productivité, ce marché rappelait celui des Années folles. Dans les années 1990, la métaphore de Boucles d’or est également devenue populaire pour décrire l’environnement économique : tout était « juste comme il faut », ni trop chaud, ni trop froid.
Avec l’éclatement de la bulle Internet, une nouvelle phase haussière s’est amorcée, mais cette fois, elle était largement soutenue par des facteurs financiers. En effet, après l’éclatement de la bulle de la tech et les attentats du 11 septembre 2001, les banques centrales avaient dû intervenir en profondeur pour stabiliser l’économie. Ce n’était plus l’inflation qui menaçait, mais la déflation, avec le risque d’une spirale dette/déflation.
La seule façon de contrer un tel phénomène est de stabiliser l’économie. Cela demande beaucoup plus d’efforts de la part d’une banque centrale, d’où la forte baisse des taux d’intérêt. Ce mouvement a d’ailleurs posé les bases de la crise suivante, la crise financière mondiale, et une fois de plus, les baisses de taux ainsi que la politique monétaire non conventionnelle ont alimenté la phase haussière, soutenue par les taux d’intérêt bas.
Intelligence artificielle
Le marché haussier actuel repose en grande partie sur les performances des Sept Magnifiques, portées par les gains de productivité attendus grâce aux avancées de l’intelligence artificielle.
Alors que la deuxième révolution industrielle portait sur l’automatisation de la force musculaire humaine, il s’agit cette fois-ci de l’automatisation de la pensée humaine. Cela affecte non seulement la production, mais aussi un large éventail de services, secteur particulièrement important dans de nombreux pays développés. L’impact final sur la productivité pourrait donc être encore plus important que l’avènement de l’iPhone, du PC ou même de l’Internet. De plus, l’adoption et la mise en œuvre se font à un rythme bien plus rapide qu’auparavant.
Cette phase haussière ressemble beaucoup plus à celui des années 1990. Les taux d’intérêt avaient fortement augmenté en 1993 et 1994, à l’instar de ce que nous avions observé ces dernières années. En 1995, l’économie américaine avait ensuite réussi un atterrissage en douceur, la seule fois dans l’histoire où des hausses de taux d’intérêt n’ont pas été suivies d’une récession. À l’époque, l’inflation était un problème bien moins préoccupant qu’aujourd’hui et les banques centrales avaient également maintenu les taux élevés plus longtemps, mais en raison des crises asiatique et de LTCM, elles avaient finalement pu les abaisser, ce qui, avec la liquidité disponible pour gérer le bug de l’an 2000, avait fourni suffisamment de carburant pour faire grimper encore les marchés.
L’impact de l’intelligence artificielle sur la productivité, le plus significatif depuis les années 1920, suggère que cette phase haussière a probablement encore de belles années devant lui. Longue vie au marché haussier !
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.