
Le ministre vietnamien des Finances, Nguyen Van Thang, a reçu la semaine dernière des représentants de FTSE Russell pour une discussion sur l’éventuelle reclassification du marché des capitaux vietnamien. Il s’agit d’un moment clé dans l’évolution du Vietnam, de marché frontière à celui de marché émergent en 2025 – une promotion que le pays attendait depuis 2018.
MSCI ne prévoit un passage éventuel au statut de « marché émergent » qu’entre 2026 et 2028. Mais que signifie exactement cette mise à niveau et pourquoi les réformes sont-elles plus importantes que la seule croissance économique ?
Complexité géopolitique
Le passage du Vietnam au statut de marché émergent est compliqué par les tensions géopolitiques. Début juillet, le Vietnam est devenu le troisième pays (après le Royaume-Uni et la Chine) à conclure un accord avec Donald Trump sur les droits de douane à l’importation qu’il a annoncés début avril. Au lieu des 46 % de droits de douane initialement prévus, le Vietnam se voit désormais imposer un prélèvement de 20 % sur les produits vietnamiens et de 40 % sur les produits considérés comme chinois et transitant par le Vietnam. Le Vietnam est le sixième plus gros exportateur vers les États-Unis, notamment parce qu’il s’est positionné comme une alternative à la Chine.
Marchés frontières, émergents et développés
Cette répartition en dit plus sur la structure d’un marché que sur la croissance économique. Les jeunes marchés, souvent plus petits, dont l’accessibilité et la liquidité sont limitées, sont les « marchés frontières ». Un cran au-dessus, on trouve les marchés émergents : des économies en pleine croissance dotées d’une infrastructure financière plus développée et d’un meilleur accès pour les investisseurs étrangers. Au sommet se trouvent les marchés développés, avec leur grande liquidité, leur réglementation stricte et leur intégration totale au système financier mondial. Ces classifications, établies par des fournisseurs d’indices tels que FTSE Russell et MSCI, déterminent la destination de milliards de dollars de fonds passifs. Un changement de classification peut donc également avoir un impact majeur sur l’économie d’un pays.
Les critères de promotion
Les critères de promotion au statut de marché émergent sont multiples et techniques. L’accessibilité est primordiale : les investisseurs étrangers peuvent-ils entrer et sortir librement leurs capitaux ? Le Vietnam s’efforce de simplifier les procédures administratives et de rendre les droits de propriété plus transparents pour les étrangers. L’étude Global Market Accessibility Review réalisée par MSCI en 2024 montre la complexité de ces critères. Sur les 18 critères d’évaluation, le Vietnam était évalué favorablement pour six d’entre eux, devait apporter des améliorations mineures pour quatre, alors que des améliorations substantielles étaient nécessaires pour huit autres.
Le Vietnam est actuellement la composante la plus importante de l’indice MSCI Frontier Markets, avec environ 28 %. Cette position dominante souligne à la fois la forte liquidité et l’importance d’une éventuelle mise à niveau des fonds indiciels. La liquidité seule ne suffit pas – le marché doit également être efficace sur le plan opérationnel. Le système KRX est opérationnel au Vietnam depuis le mois de mai de cette année, ce qui constitue une étape importante vers la mise en place d’une infrastructure de trading moderne. La mise en place prévue d’une contrepartie centrale pour la compensation permettra de professionnaliser davantage l’infrastructure en 2027.
Les réformes, véritable moteur de surperformance
De nombreux marchés frontières connaissent une croissance plus rapide que les marchés émergents, mais la valeur réelle réside dans les réformes qui permettent la promotion. Lorsqu’un pays travaille à une meilleure gouvernance d’entreprise, à des structures de propriété plus transparentes et à des mécanismes de marché plus efficaces, il s’ensuit généralement une réévaluation fondamentale des actifs. Les entreprises deviennent plus accessibles aux investisseurs internationaux, les primes de risque diminuent et les valorisations augmentent.
Le gouvernement vietnamien a présenté une stratégie de croissance ambitieuse visant à hisser le pays parmi les « pays à revenu élevé » d’ici à 2045. Cela suppose une croissance annuelle d’au moins 8 % au cours des 20 prochaines années, pour un pays qui dépend fortement des exportations vers les États-Unis et l’Europe. Les réformes qui permettent la modernisation des marchés émergents sont également devenues une nécessité économique, en partie à cause des tarifs douaniers de Donald Trump.
L’intérêt pour les investisseurs
Les promotions des marchés frontières vers les marchés émergents génèrent souvent une surperformance significative, non pas parce que le fonctionnement de l’économie sous-jacente est soudain différent, mais parce que les améliorations structurelles entraînent une revalorisation. Les marchés qui s’efforcent d’améliorer l’accessibilité, la transparence et les infrastructures se positionnent ainsi pour la création de valeur structurelle.
Ce faisant, il est essentiel de tenir compte des risques géopolitiques. Le succès du Vietnam dépend non seulement de ses réformes internes, mais aussi de sa capacité à naviguer entre les grandes puissances sans s’aliéner l’une d’entre elles. Le Vietnam est connu internationalement pour sa diplomatie (flexible) du bambou, sa population nombreuse et bien éduquée et sa politique anti-corruption forte. En outre, le Vietnam est l’un des rares pays d’Asie à disposer de ressources naturelles relativement abondantes.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.