Le rapport sur l’emploi aux États-Unis pour le mois d’août a montré qu’il y avait davantage de personnes au travail, qu’elles travaillaient plus d’heures et qu’elles étaient mieux rémunérées. Il est donc surprenant de conclure à l’imminence d’une récession. Bien sûr, certains indicateurs, comme la courbe des taux, qui s’est fortement accentuée après deux ans d’inversion, et l’indicateur Sahm, pourraient suggérer une telle issue. Cependant, ces indicateurs ne sont pas des causes directes de récession.
La récession typique est déclenchée par un choc soudain, donnant l’impression que l’économie chute brusquement. Cela peut être, par exemple, une forte hausse des prix du pétrole, un effondrement du marché immobilier, une crise financière ou encore, une pandémie.
Les récessions peuvent également être provoquées par des banques centrales qui maintiennent des taux d’intérêt trop élevés pendant trop longtemps. Cependant, la dernière hausse des taux d’intérêt remonte à un certain temps déjà, et l’économie américaine continue de croître. Le rapport sur l’emploi publié vendredi dernier confirme plutôt l’hypothèse de l’atterrissage en douceur tant espéré.
Un atterrissage en douceur, toujours
Certes, le nombre d’offres d’emploi a diminué, mais cela ne signifie pas que des licenciements massifs sont en cours. La hausse récente du taux de chômage s’explique par un afflux accru sur le marché du travail, notamment dû à l’immigration. Bien que la Réserve fédérale ait tardé à réduire ses taux d’intérêt, les répercussions économiques demeurent limitées.
Ce ralentissement s’inscrit parfaitement dans le scénario d’un atterrissage en douceur et constitue même une étape nécessaire pour convaincre la banque centrale de réduire ses taux d’intérêt. La création d’emplois a été plus faible que prévu, et les chiffres de juin et de juillet ont été revus à la baisse. Ainsi, la croissance moyenne de l’emploi sur les trois derniers mois s’établit à 116 000 postes. Avec un taux de chômage de 4,2 %, ce chiffre est excellent.
Les salaires, le nombre d’heures travaillées ainsi que le taux de participation sont tous en hausse. Même les demandes hebdomadaires de nouvelles allocations de chômage sont en baisse. Si l’on ajoute à cela une économie en croissance, une accélération des bénéfices et des dépenses de consommation solides, aucune récession ne se profile à l’horizon.
Les mauvaises nouvelles ne sont plus de bonnes nouvelles
Il n’y a pas si longtemps, les marchés financiers auraient interprété les « mauvaises nouvelles » comme de bonnes nouvelles. À l’époque, l’évolution de l’inflation constituait leur principale préoccupation, mais ces inquiétudes semblent s’être dissipées. En effet, l’inflation n’a cessé de reculer au cours des derniers mois et les sursauts observés en début d’année n’ont été que temporaires. Il est même possible que l’inflation tombe sous l’objectif fixé par la Réserve fédérale dans un avenir assez proche, ce qui lui donnerait une marge de manœuvre suffisante pour abaisser les taux d’intérêt.
À la lumière des chiffres de la semaine dernière, on peut s’attendre à ce que la Fed réduise ses taux d’intérêt de 25 points de base en septembre. Le marché anticipe même déjà des baisses supplémentaires. Par la suite, le comité de politique monétaire (FOMC) pourrait ainsi réduire ses taux de 25 points de base à chaque réunion jusqu’à l’été 2025. Si une baisse plus rapide ou plus précoce des taux se révélait nécessaire, cela serait désormais envisageable. C’est une bonne nouvelle.
Les élections alimentent l’incertitude
Des chiffres économiques solides pourraient apaiser les inquiétudes concernant l’économie américaine. Malheureusement, les chiffres en provenance de Chine et d’Europe restent pour l’instant décevants. De plus, tous les indicateurs de sentiment (qu’ils concernent les consommateurs, les producteurs ou les directeurs d’achat) sont de plus en plus influencés par la rhétorique de l’élection présidentielle. Cela pourrait rendre les entreprises plus réticentes à investir ou à recruter, en attendant que les élections apportent plus de clarté sur l’avenir. Pourquoi investir alors qu’on ne sait pas encore très bien comment évolueront les droits de douane, la pression fiscale ou même les taxes sur les plus-values ?
La banque centrale n’échappe pas non plus à l’influence des élections. Si la Fed venait à réduire ses taux de manière agressive avant le scrutin, elle risquerait d’être accusée d’essayer d’influencer le résultat, alors même que l’indépendance de toute banque centrale constitue un principe fondamental.
Rotation sur le marché boursier
Bien que la baisse des cours de la semaine dernière semble avoir été provoquée par une crainte accrue de récession, l’explication est aussi à chercher ailleurs. On assiste également à un élargissement sur le marché boursier. En théorie, c’est une bonne nouvelle, car la hausse du marché boursier n’est plus uniquement tirée par un petit groupe restreint, mais s’étend à un éventail plus large de titres.
Cependant, le problème réside dans le fait que ce groupe restreint de quelques actions représente à lui seul un tiers de la capitalisation boursière du S&P 500. Ainsi, une rotation dans ces secteurs peut rapidement peser sur l’ensemble du marché. De plus, il est pertinent de se demander si cette rotation est vraiment justifiée. Les fondamentaux sous-jacents de l’intelligence artificielle sont excellents et, à l’heure actuelle, ces titres se sont tellement dépréciés qu’on peut désormais les considérer comme offrant une valorisation attrayante. De plus, l’adoption de l’intelligence artificielle constitue beaucoup plus un thème structurel qu’elle n’est sensible à l’évolution du cycle économique.
Il est cependant possible que ce groupe restreint de gagnants résiste bien à une récession. Il s’agit souvent d’entreprises monopolistiques qui bénéficient d’une valorisation accrue en raison de la baisse des taux d’intérêt. De plus, ces leaders du marché sont susceptibles de renforcer leur part de marché en période de récession. Une récession aux États-Unis entraînerait sans aucun doute un affaiblissement du dollar, et ces entreprises en seraient les principales bénéficiaires, car elles réalisent une grande partie de leur chiffre d’affaires en dehors des États-Unis. Ainsi, elles seraient rapidement perçues comme une valeur refuge en période d’incertitude.
Han Dieperink iest directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co..