L’important est de déterminer le temps opportun à passer sur le marché boursier, et non d’anticiper le marché. Si les investisseurs avaient suivi ce conseil, ils auraient obtenu des rendements plus élevés qu’aujourd’hui. L’anticipation du marché, aussi appelée market timing, cause actuellement de fortes pertes, plus fortes que lors de la plus importante correction jamais enregistrée. Dans ce contexte, il est étonnant que les autorités de contrôle et les banques centrales affirment de temps à autre que le marché boursier est surévalué.
La semaine dernière, le cas de figure s’est à nouveau présenté. Les autorités de contrôle et les banques centrales ont donné l’impression qu’elles pouvaient anticiper le marché. Lorsqu’un tel message émane de l’autorité des marchés financiers, on devrait pouvoir y attacher plus de valeur qu’à un finfluencer moyen. Bien entendu, divers gourous partagent de temps à autre leur avis sur le marché, mais le point de vue d’une autorité suggère tout de même une sorte d’omniscience. Pourtant, même de tels conseils se font au détriment des rendements.
Exubérance irrationnelle
Le 5 décembre 1996, Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale, a prononcé un discours intitulé The Challenge of Central Banking in a Democratic Society. Dans ce discours qui entendait présenter le défi d’une banque centrale dans une société démocratique, il a utilisé les mots « exubérance irrationnelle ». Alan Greenspan a établi un lien avec la stabilité financière, car les marchés boursiers, après avoir été surévalués, ont tendance à chuter si fortement qu’ils peuvent déclencher une récession.
Le président de la Fed considérait que l’une des missions de la banque centrale était de surveiller la stabilité financière et de prévenir autant que possible les risques systémiques. Initialement, les marchés financiers ont réagi négativement à ses propos. Mais cette réaction a été de courte durée : les années qui ont suivi le discours ont été marquées par l’un des plus importants marchés haussiers de tous les temps.
Le « Greenspan put »
En soi, la hausse des taux ne constitue pas un risque pour une banque centrale. Souvent, une forte hausse des cours est cependant une conséquence de la politique monétaire. Lorsque les taux d’intérêt chutent bien en dessous des taux d’équilibre, de nombreux banquiers centraux pensent qu’ils stimulent l’économie, faisant diminuer l’épargne et augmenter les investissements.
Toutefois, ce lien n’est pas si étroit. Le principe est surtout d’emprunter davantage de fonds pour investir dans des actifs existants. Les entreprises rachètent leurs propres actions, créant ainsi des bulles, par exemple sur le marché de l’immobilier. Les risques n’apparaissant que lorsque la bulle éclate.
Pour contrer les effets négatifs des baisses des taux, Alan Greenspan est intervenu régulièrement. À chaque crise (Asie, LTCM), il s’est empressé de réduire les taux d’intérêt. À un moment donné, ce phénomène était connu sous le nom de Greenspan put, ou « garantie Greenspan ». Ce dernier a eu la sagesse de ne pas vouloir prédire le marché, son discours portait plutôt sur les contraintes de la politique monétaire.
Une leçon de sagesse
Depuis ce discours désormais célèbre, les autorités de contrôle et les banques centrales se sont montrées plus réticentes à formuler des prédictions sur le marché boursier. Le successeur d’Alan Greenspan, Ben Bernanke, est resté peu loquace malgré l’imminence de la crise des subprimes, la chute de Lehman et la grande crise financière. Mais en octobre dernier, la Banque d’Angleterre a mis en garde contre la surévaluation des valeurs technologiques américaines. Cette observation a, elle aussi, été sanctionnée par le marché.
Il n’y a que peu de périodes dans l’histoire où ces valeurs technologiques, et donc le marché boursier, ont connu une hausse aussi forte. Dans cette tradition, l’avertissement de l’AFM et de la DNB peut plutôt être considéré comme un signal d’achat.
Parallèles avec les années ‘90
On observe de plus en plus de similitudes avec les années 1990. À l’époque, l’avènement de l’Internet avait stimulé la productivité ; aujourd’hui, c’est au tour de l’intelligence artificielle. En 1995, l’économie a connu son premier atterrissage en douceur, tout comme aujourd’hui. Les banques centrales ont également maintenu les taux d’intérêt à un niveau élevé pendant plus longtemps.
Rétrospectivement, Alan Greenspan a dû admettre qu’il avait lui-même escompté une inflation plus forte dans les années 1990, mais qu’en raison de la hausse de la productivité, l’inflation est toujours restée inférieure aux attentes. De plus, les autorités de contrôle et les banques centrales sous-estiment la mesure dans laquelle le marché se projette dans l’avenir. Les valorisations historiques peuvent être pertinentes à long terme, mais elles n’ont pas beaucoup d’impact à court terme.
Avertir ampute le rendement
Le principal problème de ce type d’avertissement est qu’il incite les gens à investir moins et à épargner davantage. Au taux d’épargne actuel (trop bas), cela signifie que les épargnants perdent globalement du pouvoir d’achat. En fait, l’épargne devrait faire l’objet d’un avertissement du type « Attention, épargner de l’argent coûte de l’argent ».
Aux Pays-Bas, le montant des comptes d’épargne s’élève à des centaines de milliards d’euros, dont une grande partie à long terme. Le nombre d’investisseurs a diminué d’environ un million depuis les années 1990, sans parler des fonds de pension. Peut-être qu’à l’avenir, les organismes de contrôle seront également en mesure de donner un avertissement lorsque le moment est venu de prendre position.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.