La parité du pouvoir d’achat a rendu le dollar extrêmement surévalué. Il faut remonter à septembre 1985, l’année de la fin du premier grand rebond du dollar, pour retrouver un niveau de valorisation comparable.
En termes pondérés par les échanges commerciaux, le dollar américain a connu trois rebonds depuis la fin des accords de Bretton Woods, le 15 août 1971. Le plus récent a débuté à la fin de la crise financière. À l’époque, en 1985, la France, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne de l’Ouest et, bien sûr, les États-Unis se sont réunis à l’Hôtel Plaza de New York pour faire baisser le dollar, marquant la fin du premier grand rebond du dollar depuis 1971.
Le deuxième rebond du dollar s’est achevé en 2000 à l’aide d’une intervention coordonnée. Cette année-là déjà, la Banque du Japon et d’autres banques centrales étaient intervenues à plusieurs reprises dans les marchés de change, du reste sans coordination claire. Une telle intervention n’est d’ailleurs peut-être plus nécessaire aujourd’hui, car le rebond du dollar commence à s’essouffler.
Ces dernières années, le dollar a bénéficié de la combinaison d’une politique budgétaire exubérante et d’une politique monétaire restrictive aux États-Unis. Un assouplissement est en vue, avec une première baisse des taux d’intérêt en perspective. La politique budgétaire dépendra quant à elle uniquement du résultat des élections présidentielles américaines au mois de novembre. Aucun des partis n’a de problème avec de lourds déficits budgétaires, mais si le Congrès adopte une couleur différente du président, cela compliquera les choses.
La première baisse des taux d’intérêt aura vraisemblablement lieu dès septembre, après quoi le comité de politique monétaire de la Réserve fédérale profitera de chaque réunion jusqu’à l’été 2026 pour les baisser encore. Les marchés financiers comptent sur une baisse de 2 points de pourcentage du taux directeur. Cela exercera cycliquement une pression sur le dollar. Les différentiels de taux avec d’autres pays vont se réduire et la Réserve fédérale offre aux autres banques plus de flexibilité et de possibilités d’ajuster leur politique monétaire. Il est déjà singulier en soi que la BCE ait, cette fois-ci, baissé les taux avant la Réserve fédérale mais, à présent que la Fed la rejoint, la BCE va pouvoir poursuivre ses baisses de taux.
Le dollar est une devise particulière. C’est la monnaie de réserve du monde, ce qui fait de la Réserve fédérale la « banque centrale du monde ». Un dollar plus faible donne par conséquent une impulsion à l’économie mondiale, en particulier, traditionnellement, dans les pays émergents. Aujourd’hui, nous avons un dollar fort et, dans le même temps, une économie américaine prospère et une crise mondiale. À cela vient s’ajouter la fragilité des fondations du dollar, et notamment les fameux déficits jumeaux. La représentation graphique de ce phénomène est connue sous le nom de dollar smile.
L’intelligence artificielle va donner une forte impulsion à la productivité, notamment aux États-Unis. Ajoutons à cela la déréglementation et les réductions budgétaires si Donald Trump l’emporte : tous les ingrédients semblent réunis pour que l’économie américaine flexible puisse encore connaître une forte et longue croissance. Or, une économie forte s’accompagne d’une devise forte. Actuellement, Donald Trump et, surtout, J.D. Vance, préfèrent un dollar faible. Ce dernier souhaite rendre aux acteurs de la production américaine leur compétitivité sur le marché mondial.
Si le dollar fort est aujourd’hui une béquille pour les consommateurs américains, un dollar faible serait, quant à lui, favorable aux producteurs américains, ce qui en fait une meilleure alternative que les droits à l’importation envisagés. Dans les faits, il s’agit d’une taxe supplémentaire sur la consommation américaine. Il se peut que des pays comme la Chine et le Japon, sous la menace de droits d’importation élevés, concluent de nouveaux accords du Plaza.
Un dollar faible se traduit cependant par une hausse de l’inflation aux États-Unis. Il est possible que la politique de la Réserve fédérale reste ainsi restrictive plus longtemps, alors que c’est justement cette combinaison de croissance vigoureuse et de politique monétaire restrictive qui crée un dollar fort. Le rôle du dollar au sein de l’économie mondiale est cependant en train de changer.
Il serait exagéré de parler dès à présent d’une « dédollarisation » de l’économie mondiale. Le fait que le pétrole se négocie en dollars dans le monde entier a contribué à faire du billet vert une monnaie de réserve. À présent, une partie du pétrole se négocie en renminbi, mais cette devise ne prendra pas le rôle du dollar. Les devises saoudienne et émirienne sont liées au dollar. Ces pays ont confié leur politique monétaire aux États-Unis, et il en va toujours de même pour le dollar de Hong Kong.
En octobre 1956, lorsque les chars soviétiques envahirent la Hongrie, la France, le Royaume-Uni et Israël décidèrent d’une invasion de l’Égypte. Pendant la Guerre froide, les Soviétiques ne voulaient pas dépendre financièrement des États-Unis, et placèrent ainsi leurs dollars dans des banques britanniques. Ceci marqua le début du marché de l’euro-dollar. Un nom quelque peu trompeur, d’ailleurs, car il n’avait rien à voir avec l’Union européenne ou l’euro. Il s’agissait en réalité de dollars détenus auprès de banques hors des États-Unis. Ces marchés offshore ne relèvent ni de la juridiction américaine, ni de la Regulation Q (les exigences de capital minimum pour les banques américaines).
Le marché euro-dollar est devenu un acteur majeur du système financier mondial. C’est un marché essentiel pour les entreprises et gouvernements internationaux, qui leur permet de prêter et d’emprunter en dollars américains hors des États-Unis. Ce marché s’est considérablement développé depuis sa création dans les années 1950. La Banque des Règlements internationaux (BRI) estime que ces banques non américaines détiennent pour environ 50 000 milliards de dollars de dettes en dollars. Si le dollar grimpe, les coûts de recouvrement de ces dettes feront de même.
Ce phénomène amplifie donc les fluctuations du dollar. En effet, si le dollar augmente par rapport aux devises étrangères, les débiteurs en dollars devront vendre leurs propres devises et acheter des dollars pour en neutraliser l’effet, avec pour conséquence de nouvelles hausses du dollar. Mais si le dollar baisse en même temps que les taux d’intérêt américains, l’inverse s’ensuivra et le dollar pourra continuer à s’affaiblir.
Han Dieperink est directeur de la stratégie d’investissement chez Auréus Vermogensbeheer. Il a auparavant été directeur des investissements chez Rabobank et Schretlen & Co.