Mario Draghi, ancien président de la BCE et président du Conseil des ministres d’Italie, a rédigé un rapport dont la conclusion aussi évidente qu’inutile est que l’Europe a totalement loupé le coche en matière d’innovation et de compétitivité. Sans blague !
Heureusement, Mario Draghi a trouvé plusieurs solutions parfaites à ce problème, dont un tsunami d’emprunts européens. J’ai envie de dire : n’oubliez pas le popcorn, voilà qui promet d’être « amusant ».
L’Europe au tapis
La conclusion majeure que tire Mario Draghi dans son rapport de 66 pages, rédigé à la demande de Madame Ursula Von der Leyen, fait littéralement mal aux yeux , puisqu’il affirme que « jamais dans l’histoire la taille de nos pays n’a paru aussi insignifiante et inadaptée par rapport à l’ampleur des défis à relever. »
L’Europe est au tapis ; nous ne comptons tout simplement plus sur l’échiquier mondial du commerce et du pouvoir. Il s’agit véritablement d’un défi existentiel, assure Mario Draghi. Et le pire est que, pour une grande part, « nous » ne devons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous avons géré nos priorités n’importe comment, bien évidemment au détriment du contribuable, avec ce résultat à la clé.
Comment n’y ai-je pas pensé avant ?
Mes affinités avec le rapport de Mario Draghi se limitent néanmoins à ces conclusions pessimistes. En effet, outre le fait que bon nombre de ses solutions enfoncent des portes ouvertes, elles sont aussi, et surtout, incohérentes. Ce qui signifie que les chances que l’Europe se réapproprie sa place sur la scène mondiale sont, hélas, particulièrement maigres.
La première « solution » de Mario Draghi consiste, pour l’Europe, à tenter collectivement de combler le fossé qui la sépare des États-Unis et de la Chine en matière d’innovation. Mais comment ? Alors que les États-Unis et la Chine passent leur temps à se disputer des droits de propriété intellectuelle, des brevets et des technologies, c’est à peine si nous parvenons à garder notre propre géant de la tech, ASML, dont plus de collaborateurs sont occupés à veiller au respect de millions de règles qu’à développer des technologies supérieures.
Pour ceux qui ont lu le livre d’Elon Musk : remettez en question toute forme de réglementation restrictive appliquée au produit jusqu’à ce que le contraire en soit démontré. C’est ça, l’innovation. Ça peut valoir le coup d’essayer.
Mais il y a plus grave encore. La deuxième idée géniale de Mario Draghi est « un programme commun pour la décarbonation et la compétitivité ». S’il me paraît évident que l’aspect durable doit, d’une manière ou d’une autre, faire partie du projet, les données concrètes démontrent qu’une focalisation trop poussée sur le climat, ou toute autre facette de cette thématique, fait justement obstacle à l’innovation et la compétitivité.
Mario Draghi a-t-il vu les parts de marché chinoise et allemande pour les voitures électriques – un moyen de transport qui apparaît pourtant dans tout projet de décarbonation ? BMW, Mercedes et Volkswagen sont même balayés sur leur propre continent. Est-ce réellement uniquement dû au fait que les Allemands se reposent trop sur leurs lauriers ? Je ne le pense pas. En Europe, la politique est totalement déséquilibrée, ce qui signifie que les entreprises européennes n’ont pas un, mais dix trains de retard.
La dernière recommandation « évidente » de Mario Draghi est plus sensée : réduire la dépendance européenne, pour les matières premières et l’énergie notamment. Oui, ce sont bien ces mêmes Allemands qui ont décidé de fermer toutes leurs centrales nucléaires pour, peu après, se rallier avec une certaine hypocrisie au petit club fermé du FEM qui, justement, promettait de miser davantage sur l’énergie atomique.
Savez-vous qu’en France, les émissions de CO2 par habitant sont plus de 40 % inférieures à celles de l’Allemagne ? On se demande bien pourquoi. Ce que les responsables politiques oublient totalement, ici aussi, c’est que la voie vers un certain objectif doit être choisie avec le plus grand soin. Et parfois, cela signifie qu’il faut faire un détour.
Eurêka
Mais le plus beau reste bien évidemment la réponse de Mario Draghi à la question de savoir comment nous tous allons payer cela. Nous avons besoin d’environ 800 milliards d’euros par an, soit un petit 5 % du PIB européen, pour combler ce gigantesque retard.
Mario Draghi parvient rapidement à la conclusion qu’après toutes les obligations imposées par Bruxelles avec un succès des plus modérés – songez par exemple aux factures énergétiques de ces dernières années –, on ne peut pas faire de nouveau porter le chapeau aux citoyens européens. Heureusement, il existe un formidable instrument pour répartir les coûts : les emprunts européens.
La proposition de Mario Draghi – incroyable mais vraie, après sa présidence de la BCE au cours de laquelle l’Italie et la zone euro se sont presque retrouvées submergées – consiste à émettre des obligations communes. Pas sûr que les Pays-Bas, avec leur taux d’endettement de 43,9 %, souhaitent faire un partage égal avec un pays dont le taux d’endettement est de 140 %. Du reste, les Allemands se sont d’ores et déjà montrés clairs : ce n’est pas une bonne idée.
Pour conclure…
Je sais qu’il ne faut pas se contenter de se plaindre, or c’est un peu ce que fait cette chronique. J’aimerais voir une politique mieux équilibrée, où l’innovation et la compétitivité ne soient pas, par définition, éclipsées par des objectifs climatiques et autres réglementations arbitraires et irréalistes.
Il est également préférable de travailler un peu plus, et non moins. Que dit-on déjà pour les sportifs de haut niveau ? Que rester au sommet est bien plus difficile que d’y parvenir. Les choses seraient-elles donc différentes en Europe ?
Source : document de la Commission européenne
Dans sa newsletter The Market Routine, Jeroen Blokland analyse des graphiques actuels qui reflètent certains aspects frappants macro-économiques et des marchés financiers. Il gère également un fonds multi-actifs propres. Il était précédemment Head of Multi-assets chez Robeco.