Alors que les investisseurs se détournent des Sept Magnifiques après les chiffres décevants de Tesla et Alphabet, les cours des petites entreprises cotées s’envolent. S’agit-il de la fameuse « Grande Rotation » ou d’un simple sursaut spéculatif ?
« The Great Rotation is a generational event » (la Grande Rotation est un événement significatif pour cette génération », pouvait-on lire en titre du site de la chaîne financière CNBC la semaine dernière. Le Wall Street Journal, généralement un peu moins tapageur, qualifiait quant à lui le regain d’intérêt pour les petites capitalisations de « rotation of historic proportions » (rotation ayant une importance historique).
C’est bien connu : les petites entreprises cotées sont souvent très endettées et déficitaires. Pourtant, les stratèges d’ING, Deutsche Bank, BNP Paribas et Neuberger Berman, entre autres, estiment que ces petites capitalisations devraient prochainement générer une performance intéressante.
« Le comportement que nous constatons actuellement chez les investisseurs suggère qu’il s’agit bel et bien d’une rotation historique, qui ne se limitera pas à quelques semaines , affirme Simon Wiersma, stratège en chef chez ING, « assez certain » qu’il s’agit bien là d’une transition à long terme vers les petites actions.
Les chiffres sont pour le moins éloquents. Depuis leur dernier record en juillet, les Sept Magnifiques ont globalement gagné 11 %, du fait des trimestriels décevants d’Alphabet et de Tesla. L’indice Russell 2000 pour les petites capitalisations américaines a, quant à lui, suivi une tendance inverse et augmenté d’environ 10 % depuis début juillet. Dans un premier temps, le cours a tellement grimpé que les fonds spéculatifs qui avaient parié contre ces classes d’actifs ont rapidement dû clôturer leurs positions courtes et donc procéder à une liquidation forcée également appelée short squeeze.
Les taux d’intérêt
La bonne nouvelle pour les petites capitalisations, très dépendantes de l’évolution des taux d’intérêt, est arrivée avec la publication du dernier indice des prix à la consommation (IPC) le 10 juillet. Celui-ci a baissé de 0,1 % en juin, réduisant à 3 % la hausse annuelle. L’inflation sous-jacente a ralenti, passant de 3,4 à 3,3 % sur une base annuelle. Le taux à deux ans a quant à lui d’ores et déjà baissé de 4,63 à 4,38 %.
La probabilité que la Fed mène une baisse des taux d’intérêt d’au moins un quart de point de pourcentage en septembre excède désormais 95 %, d’après le CME FedWatch Tool. Une baisse des taux soulageant les petites entreprises cotées, généralement très endettées, les investisseurs ciblant les petites capitalisations peuvent d’ores et déjà se frotter les mains.
La grande question est cependant de savoir si, cette fois-ci, le marché émet des prévisions correctes sur les intentions de la Fed. L’économie doit en outre se maintenir si l’on veut garantir la surperformance qu’affichent traditionnellement les petites capitalisations au début d’un nouveau cycle économique.
Malgré le risque que le marché souffre de nouveau des baisses des taux d’intérêt, Simon Wiersma est d’avis que les petites capitalisations sont aujourd’hui parfaitement valorisées dans le monde, et surtout en Europe, où les valorisations sont restées à la traîne. « Aux États-Unis, le rendement des petites entreprises est un peu décevant ; une baisse des taux y aura ainsi encore plus d’impact », déclare-t-il. Pas moins de 40 % des entreprises du Russell 2000 sont déficitaires.
Le Russell 2000, un indice « singulier »
La rentabilité des petites capitalisations américaines pose problème selon Marco Pirondini, CIO d’Amundi US. Bien qu’il soutienne l’idée qu’un revirement vers les petites capitalisations puisse être raisonnable au début d’un nouveau cycle économique, il souligne la singularité du Russell 2000, qui compte de nombreuses entreprises zombies ayant survécu grâce à des années d’assouplissement monétaire et de taux d’intérêt nuls. « Ces entreprises auront du mal à refinancer leurs dettes au cours des cinq prochaines années, surtout si l’économie s’affaiblit », avertit-il.
Selon lui, il est plus sûr de conserver des actions de grandes capitalisations, surtout pour les investisseurs passifs. « Il est difficile de trouver des entreprises en mauvaise santé au sein des grandes capitalisations. Leurs bilans sont forts, et elles sont généralement rentables », poursuit-il.
Du reste, il comprend bien la volonté des investisseurs de se détacher des Sept Magnifiques. Il considère la rotation davantage comme une réaction à la forte concentration de grandes entreprises technologiques dans l’indice S&P 500 que comme un regain d’attrait des petites capitalisations. Le poids des Sept Magnifiques dans le S&P 500 atteint aujourd’hui environ 30 %.
Marco Pirondini conseille aux investisseurs d’opter pour un indice équipondéré, afin de compenser la baisse des grandes entreprises technologiques par le reste du S&P 500. « En tant qu’investisseur actif, je préfère néanmoins choisir moi-même mes entreprises. Les États-Unis offrent d’intéressantes possibilités d’investissement, en particulier dans le secteur financier, l’énergie, les matériaux, les services publics et le secteur pharmaceutique », confie-t-il.
Simon Wiersma se montre plus optimiste quant à l’évolution du cours des grandes entreprises technologiques aux États-Unis. Selon ING, la plus grande correction est déjà passée pour ces entreprises. « Les prévisions en matière de bénéfices restent particulièrement positives et devraient vraisemblablement se maintenir », précise-t-il. « Nous en sommes encore à un stade précoce de la saison des résultats, et ceux que nous avons vus jusqu’à présent n’étaient en aucun cas aussi mauvais que le cours le laissait présager. »
« Si vous souhaitez investir maintenant dans les petites capitalisations, je vous recommande de prendre cet argent dans les obligations ou les liquidités. Je ne toucherais à aucune autre position pour surfer sur cette tendance », conseille le stratège.
En matière de petites capitalisations, la préférence des détenteurs de portefeuilles s’est clairement portée, en juillet, sur les actions américaines, comme le montre le rapport Citywire Elite Companies. Cette liste de Citywire présente les actions que les gestionnaires du monde entier ajoutent à leur portefeuille avec le plus de conviction ; la limite est fixée à 2,2 milliards de dollars.
Seules deux entreprises non américaines figurent dans le top 10 du mois dernier. La banque slovène NLB est en tête et la société de transport maritime vietnamienne Gemadept est en septième place. OFG Bancorp, une banque comptant d’assez nombreux clients hispanophones aux États-Unis, le fabricant de caravanes Patrick Industries et l’entreprise conditionnement de puces Veeco Instruments sont également populaires auprès des investisseurs professionnels.
En tête de la liste Citywire Elite des plus fortes hausses parmi les petites capitalisations figurent l’entreprise de communication Liberty Latin America, le promoteur immobilier Forestar et l’entreprise électronique Kimball. Parmi les dix plus fortes hausses se retrouvent également Atlas Energy Solutions, qui propose des services logistiques aux producteurs de gaz et de pétrole, et American Superconductor, producteur de systèmes de contrôle pour parcs éoliens et solaires.
La liste Elite des investissements américains est toujours menée par Alphabet, suivie par Meta et Microsoft. Apple et Nvidia ont perdu une place par rapport à juin, et c’est le prestataire de services financiers Ameriprise Financial qui a enregistré la plus forte hausse au sein de ce top 10.
Le top 10 des actions européennes est mené par la banque italienne Unicredit, suivie par les entreprises pharmaceutiques Sanofi et AstraZeneca. ASML est passée de la deuxième à la huitième place au moins de juillet, mais est toujours l’action néerlandaise la plus prisée des gestionnaires de portefeuille dans le monde, selon les analystes de Citywire.