Italy's Leonardo SpA produces unmanned helicopters. Photo: Leonardo.
Italy's Leonardo SpA produces unmanned helicopters. Photo: Leonardo.

Les fonds d’investissement durables en Europe ont considérablement augmenté leurs investissements dans les actions de défense. Les nouveaux chiffres de Morningstar montrent la rapidité avec laquelle les investisseurs ajustent leurs politiques ESG sous la pression politique et militaire.

Les fonds d’investissement Article 8 – c’est-à-dire des fonds qui promeuvent des caractéristiques durables selon les règles européennes – ont augmenté leur exposition aux actions de défense d’une moyenne de 0,6 % en 2022 à 2,5 % à la mi-2025. Ce chiffre est proche des 4 % que les fonds de l’Article 6, sans label de durabilité, allouent en moyenne à la défense. Les fonds plus stricts de l’Article 9 continuent d’éviter en grande partie le secteur de la défense.

Les nouveaux chiffres proviennent du rapport trimestriel SFDR de Morningstar et constituent le premier ensemble de données détaillées depuis que la Commission européenne a précisé en mars que les investissements dans la défense peuvent être compatibles avec les politiques ESG tant qu’ils n’entrent pas en conflit avec le droit international.

La géopolitique l’emporte sur l’éthique

« Depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, il est devenu de plus en plus évident que la géopolitique joue un rôle plus important dans la définition de l’investissement durable que l’éthique », affirme Hortense Bioy, responsable de l’analyse de la durabilité chez Morningstar Sustainalytics, en réponse aux questions d’Investment Officer.

« Les gestionnaires d’actifs évoluent dans un paysage de plus en plus complexe et en mutation rapide, où les cadres réglementaires et éthiques semblent changer tous les deux ans. Cette situation est source de confusion pour les investisseurs qui s’intéressent au développement durable. Certains maintiennent le cap, mais d’autres révisent leur stratégie d’investissement, souvent par crainte que le respect strict des principes de durabilité ne se fasse au détriment des rendements financiers. »

« Il vaut mieux pas », selon la présidente de l’AFM

DL’essor des valeurs de défense dans les portefeuilles ESG soulève des questions fondamentales sur les limites de l’investissement durable. Les investissements dans les armes pourraient être considérés comme durables ? Laura van Geest, présidente de l’AFM (autorité néerlandaise des marchés financiers), a récemment fait une déclaration explicite à ce sujet : « Il vaut mieux pas », a-t-elle écrit sur LinkedIn le mois dernier. Selon elle, cela va à l’encontre de l’objectif de l’investissement durable : contribuer à un avenir pacifique, social et écologique. 

La Commission ne partage pas cet avis. Avec le plan ReArm Europe, doté d’un budget de 800 milliards d’euros pour la défense européenne jusqu’en 2030, Bruxelles entend renforcer les capacités de défense européennes et invite même le secteur de l’investissement privé à y contribuer.

La valeur de marché détermine l’exposition

La hausse des cours des actions de défense a également accru l’exposition au secteur au sein des fonds ESG ces dernières années. L’indice Morningstar European Aerospace & Defence a progressé de 249 % entre début 2022 et juin 2025. À titre de comparaison, le marché européen au sens large n’a gagné que 26 % au cours de cette période. Aux États-Unis, le secteur de la défense a enregistré une hausse de 78 %.

Près de 55 % des fonds d’actions européens relevant de l’Article 8 ont désormais une position dans le domaine de la défense, contre 33 % il y a trois ans. Une stratégie sur cinq a même plus de 5 % de ses actifs dans le secteur. Dans les fonds passifs, la progression est plus lente, en raison des limites liées à la composition des indices.

Plusieurs grandes sociétés de fonds, dont Allianz Global Investors, UBS et DWS, ont ajusté leurs politiques d’exclusion pour les fonds relevant de l’Article 8 au cours des derniers mois. Chez Allianz GI, les investissements dans les équipements militaires et même les armes nucléaires sont jugés « aptes » à l’inclusion depuis le mois de mai, bien qu’ils ne soient pas classés comme durables.

Les armes nucléaires, une zone grise

Selon Mme Bioy, la frontière entre les armes acceptables et les armes controversées est de plus en plus floue pour les investisseurs ESG. « C’est à l’investisseur qu’il revient de décider où fixer la limite, en particulier en ce qui concerne les armes nucléaires. Cela dépend beaucoup du contexte national. En France, par exemple, des entreprises comme Airbus, Safran et Thales font partie du CAC 40 et sont actives dans le domaine des armes nucléaires. La France est signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Pour certains investisseurs en développement durable, il s’agit d’une sorte d’échappatoire, qui est plus largement acceptée dans les circonstances géopolitiques actuelles. »

Dans le même temps, précise Mme Bioy, « de nombreux investisseurs attachés aux valeurs restent fondamentalement opposés à tout investissement dans des armes controversées, y compris nucléaires. »

Des noms familiers dans le portefeuille

Les valeurs de défense les plus populaires dans les fonds durables sont Thales, Rheinmetall et Leonardo. Ces entreprises réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires grâce aux contrats militaires. Pourtant, malgré les mises en garde ESG, on les retrouve souvent dans les portefeuilles relevant de l’Article 8, en particulier parmi les fonds qui ont assoupli leurs politiques d’exclusion.

Des entreprises comme Airbus, Safran et Rolls-Royce sont également populaires. Elles ont un profil plus varié et réalisent généralement moins d’un quart de leur chiffre d’affaires dans le domaine de la défense. Leurs notes de risque ESG relativement basses les rendent attrayantes pour les gestionnaires de fonds qui cherchent de la flexibilité dans le cadre ESG, selon Morningstar.

 

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