
Après plusieurs semaines de turbulences sur les marchés obligataires, Lynda Schweitzer reste convaincue de l’utilité d’une stratégie ciblant les échéances longues. La gestionnaire de portefeuille américain de Loomis Sayles, maison de niche spécialisée dans les obligations, voit encore des opportunités pour les investisseurs qui osent miser sur un éventuel ralentissement de la croissance.
Dans un entretien accordé à Investment Officer, un mois après un événement médiatique organisé par Natixis Investment Managers à Paris, Lynda Schweitzer est-elle toujours convaincue de la pertinence d’allonger la duration ? « En résumé, je peux dire que tout compte fait, la réponse est oui », déclare-t-elle.
Accentuation de la courbe des taux
Au moment de l’événement organisé par Natixis à Paris, l’écart de taux d’intérêt entre les obligations d’État américaines à deux ans et à 30 ans était d’environ 65 points de base. Depuis, ce chiffre est passé à près de 100 points de base, montrant que la courbe s’accentue. Il est frappant de constater que la fuite habituelle vers les obligations à long terme dans un contexte de dégagement des actions ne s’est pas produite. Au lieu de cela, les taux d’intérêt ont continué à augmenter.
« Une telle réaction est très surprenante », déclare Mme Schweitzer. « Normalement, la duration américaine augmente lorsque les marchés des actions chutent et que les spreads de crédit se creusent. »
La duration représente en effet la sensibilité d’une obligation aux variations des taux d’intérêt. Plus l’échéance est longue, plus le taux réagit fortement aux fluctuations des taux d’intérêt. Lorsque les taux d’intérêt baissent, les obligations à long terme prennent de la valeur, et inversement.
Mouvements d’origine technique
En tant que co-responsable de l’équipe des taux fixes chez Loomis Sayles, une filiale spécialisée de Natixis, Lynda Schweitzer considère que les facteurs techniques et l’offre importante de nouvelles obligations sont les principales causes des récents mouvements de taux d’intérêt.
« La semaine dernière, d’importantes émissions de bons du Trésor à 10 et 30 ans ont eu lieu. Cela a mis la pression sur le côté long de la courbe. Il y a aussi la question de la quantité de bons du Trésor à venir, en partie à cause de l’augmentation du déficit budgétaire. C’est ce qui a déterminé en grande partie le mouvement. »
« Ce n’est probablement pas un positionnement que l’on peut maintenir pendant des années, mais pour l’instant, c’est le bon choix. »
L’équipe a vu dans cette faiblesse temporaire du marché une opportunité d’achat. « Nous avons accru la duration de notre portefeuille la semaine dernière », ajoute Mme Schweitzer. « Nous continuons à penser que cette situation est préjudiciable à la croissance à long terme. Jouer sur la duration est la bonne stratégie. »
En même temps, elle souligne l’importance de la flexibilité. « Nous procédons à de nombreuses consultations internes à ce sujet. Ce n’est probablement pas un positionnement que l’on peut maintenir pendant des années, mais pour l’instant, c’est le bon choix. »
Capacité limitée des traders sur le marché primaire
Le repositionnement des investisseurs par rapport au dollar joue également un rôle dans l’évolution inattendue des marchés obligataires, selon Mme Schweitzer. « Lorsque le dollar chute, la seule solution pour certains investisseurs est de vendre ce qu’ils ont en portefeuille. »
En outre, elle souligne les restrictions imposées aux spécialistes en valeur du Trésor, qui achètent généralement d’importants lots d’obligations d’État. « La capacité de ces traders à absorber les nouvelles émissions d’obligations à 10 et 30 ans était probablement moindre. »
Selon Mme Schweitzer, les États-Unis ont largement bénéficié des flux internationaux entrants au cours des dernières années, grâce à des taux d’intérêt attractifs et à un marché boursier solide. « Compte tenu de l’incertitude actuelle, il n’est pas surprenant qu’une partie de cet afflux s’inverse aujourd’hui. »
Pression politique sur la Fed
Dans l’interview, elle aborde également la pression politique croissante exercée sur le président de la Fed, Jerome Powell, qui a été une fois de plus la cible des critiques de Donald Trump. « Je veux croire que nos institutions sont suffisamment fortes pour résister aux bavardages sur les médias sociaux. La banque centrale doit être indépendante. Je pense aussi que Jerome Powell est indépendant. Il n’y a aucune raison pour que la Fed réduise ses taux maintenant. »
Donald Trump a affublié Jerome Powell d’un nouveau surnom : « Too Late »
Elle reconnaît néanmoins que la pression politique demeure un facteur à prendre en compte. « Il y a toujours eu le risque que M. Powell soit dans le collimateur de M. Trump. Nous verrons comment cela évolue. » Le mandat de président de la Fed de M. Powell court jusqu’en mai 2026. « Il serait inhabituel de remplacer un président de la Fed sans motif, dit-elle. Mais il faut tenir compte du fait que tout successeur sera loyal à Donald Trump. »
Les spreads entre emprunts allemands et américains sous la loupe
Lynda Schweitzer suit de près l’écart de taux d’intérêt entre les Bunds allemands et les titres du Trésor américain. « Ce type de transaction à valeur relative peut apporter des rendements supplémentaires à notre portefeuille. »
Elle qualifie de « perturbation » l’élargissement de ce spread la semaine dernière. « Les titres du Trésor ont légèrement rebondi cette semaine. On peut voir la différence revenir au niveau où elle était avant la semaine dernière. »
L’incertitude offre aussi des opportunités
Les perspectives restent floues. « J’aimerais pouvoir vous donner plus de précisions sur les évolutions à venir. Mais c’est notre réalité pour l’instant », conclut-elle.
Elle voit toutefois des opportunités dans cette situation pour les investisseurs actifs. « Il faut espérer que cela ouvrira la voie à des gestionnaires actifs comme nous. En temps normal, on n’apprécie pas forcément l’ennui, mais aujourd’hui ça serait une bonne chose. »