
Robinhood a pour ambition de conquérir l’Europe, depuis son siège européen basé à Amsterdam. La plateforme d’investissement américaine de la Silicon Valley a déjà bouleversé Wall Street avec le trading gratuit et le phénomène des « actions mèmes ».
Des documents publiés par Robinhood montrent que la société a ouvert une succursale à Vilnius, en Lituanie, cet été. Elle y a obtenu une licence MiFID II pour le courtage en valeurs mobilières et une licence MiCA pour les services de cryptomonnaie. Cela lui permet d’opérer dans toute l’UE en tant que courtier réglementé et fournisseur de cryptomonnaies.
Son siège européen se trouve à Amsterdam, dans la Strawinskylaan, dans le quartier Sud. Depuis le 17 avril 2025, Robinhood est enregistré auprès de l’Autorité des marchés financiers néerlandaise (AFM) en tant que prestataire de services financiers étranger. Selon la plateforme Clay, qui cartographie les adresses professionnelles, Amsterdam est l’un des six sites stratégiques de Robinhood dans le monde. L’entreprise possède déjà deux entités aux Pays-Bas depuis 2020 : Robinhood Europe BV et Sherwood Netherlands BV.
La « tokenisation » comme fer de lance
Le CEO Vlad Tenev a présenté les chiffres trimestriels la semaine dernière et n’a laissé planer aucun doute à ce sujet : le mot « tokenisation » a été prononcé 11 fois au cours de la conversation avec les analystes. Pour Robinhood, la négociation d’actions via la blockchain est au cœur de l’expansion européenne. « La tokenisation représente une véritable révolution sur les marchés financiers », selon M. Tenev. Il l’a qualifiée de plus grande innovation de la dernière décennie.
Depuis un mois, Robinhood propose des versions tokenisées des principales actions américaines, telles qu’Apple et Nvidia, dans les 31 pays européens. Le trading n’est soumis à aucune commission et est possible à tout moment de la journée. Derrière chaque token se cache une action réelle détenue par un dépositaire. Grâce à la blockchain, les utilisateurs possèdent une preuve numérique de propriété, mais aucun droit de vote.
Des ambitions plus larges en Europe
Mais les projets européens ne s’arrêtent pas là. Dans une récente interview accordée à Bloomberg, M. Tenev a annoncé son intention de mettre en place un service bancaire à part entière, avec des comptes chèques et des comptes d’épargne, non seulement en Amérique, mais aussi en Europe. « Chaque acteur financier est en concurrence avec les autres », a-t-il déclaré. « Si vous voulez capter les ressources des clients et les parts de marché, les frontières doivent s’estomper. »
Jeroen van Oerle, gestionnaire de portefeuille chez Lombard Odier IM et spécialiste de l’innovation financière, avertit que les banques européennes sous-estiment le risque. « Les grandes banques se complaisent de leur position dominante, constate-t-il. Mais elles risquent de perdre des parts de marché auprès des jeunes investisseurs si elles n’innovent pas. »
M. Van Oerle établit un parallèle avec le marché des changes, où des plateformes comme Wise érodent les marges des banques depuis des années. « Vous ne le sentez peut-être pas encore, mais il sera bientôt trop tard pour combler le fossé technologique. »
Les banques restent silencieuses
Pourtant, la plupart des banques optent pour l’attentisme. Investment Officer a approché plusieurs grandes institutions financières aux Pays-Bas et ailleurs en Europe. Aucune d’entre elles n’a souhaité répondre aux questions concernant Robinhood.
Aux États-Unis, la plateforme a désormais fait ses preuves. La semaine dernière, Robinhood a annoncé une croissance de son chiffre d’affaires de 45 % sur un an, alors que le bénéfice a plus que doublé. Le chiffre d’affaires trimestriel s’est élevé à 989 millions de dollars, dépassant largement les prévisions de 915 millions de dollars. En Bourse, l’action a gagné plus de 160 % depuis avril.
Le cours de l’action Robinhood en forte hausse depuis avril
Le directeur général de JP Morgan, Jamie Dimon, a récemment averti qu’il ne fallait pas rester trop longtemps sur la touche. « Ces gens sont intelligents », a-t-il déclaré à propos des concurrents de la fintech. « Ils veulent créer des comptes bancaires, des systèmes de paiement et des programmes de fidélisation. Nous devons rester vigilants et il faut le faire en participant activement. »
MiCA comme porte dérobée
En Europe, Robinhood opte délibérément pour la tokenisation. Cela lui permet d’opérer dans le cadre de la nouvelle législation MiCA sur les cryptomonnaies et d’éviter de devoir demander certaines licences pour le marché des valeurs mobilières. Au Royaume-Uni, l’application propose toujours le trading direct d’actions, mais dans l’UE et l’EEE, on trouve exclusivement des tokens, sans droits de vote ni de protection dans le cadre des systèmes de compensation des investissements existants.
Pour l’instant, c’est suffisant pour démarrer, mais pour certains régulateurs et investisseurs, le produit semble être une zone grise. Ainsi, OpenAI, le spécialiste de l’IA, s’est opposé à la tokenisation de ses actions par Robinhood. Peu de temps après, la SEC américaine a averti que les titres tokenisés étaient effectivement soumis aux lois sur les valeurs mobilières.
M. Tenev a reconnu dans la presse que d’autres changements juridiques étaient nécessaires avant que la tokenisation ne puisse vraiment percer. Les règles concernant les personnes qui peuvent y participer en tant qu’« investisseurs qualifiés » font notamment obstacle à la poursuite de la croissance.
Un plan en trois étapes
Pourtant, Robinhood continue de se développer. Le plan de tokenisation comporte trois phases : créer d’abord une offre durable de tokens de grandes actions américaines. Le trading de ces tokens se fera ensuite via Bitstamp, la Bourse crypto européenne qu’elle a rachetée au début de l’année. La troisième étape est l’intégration dans des réseaux financiers décentralisés (DeFi), permettant aux utilisateurs d’utiliser des tokens pour le trading, les prêts ou comme garantie.
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus large parmi les fintechs visant à reconstruire les services financiers en se basant sur la blockchain. En 2022, Larry Fink, CEO de Blackrock, qualifiait déjà la tokenisation de « nouvelle génération de marchés ». Mais pour l’instant, aucun acteur ne va aussi vite ou aussi loin que Robinhood.
L’Europe n’est pas l’Amérique
Tout le monde n’est pas non plus convaincu que Robinhood réussira en Europe. « L’on ne peut partir simplement du principe que Robinhood peut faire la même chose ici qu’aux États-Unis », déclare M. Van Oerle. « Les stablecoins, par exemple, ne connaîtront pas le même succès en Europe. L’Europe s’oriente vers une monnaie de banque centrale numérique et traite les stablecoins selon les règles MiCA. C’est fondamentalement différent de la politique de Donald Trump. »
Et la tokenisation des actions privées ? « Elle ne se concrétisera jamais sous sa forme actuelle », affirme M. Van Oerle. « En fait, on peut se demander si c’est même légal aux États-Unis. L’Europe offre des opportunités, mais il s’agit d’un terrain de jeu complètement différent en ce qui concerne la réglementation », explique M. Van Oerle. « Il reste à voir s’il s’agit de la bonne décision pour Robinhood. »
Robinhood n’a pas répondu à une demande d’interview de la part d’Investment Officer concernant ses projets européens.