Jeroen Blokland
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Depuis l’annonce du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le Bitcoin est partout sur nos écrans. Cette omniprésence s’explique évidemment par les records de prix de la cryptomonnaie, mais surtout par l’apparente accélération de son adoption en tant que catégorie d’investissement et forme de « valeur » alternative.

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Charmant

Je l’admets, il y a quelque chose de charmant chez tous ces experts autoproclamés du Bitcoin qui, avec leurs titres LinkedIn, affichent fièrement leur mission de nous expliquer ce qu’est le Bitcoin. Ils égrènent consciencieusement la liste déjà cent fois rabâchée des atouts incroyables du Bitcoin. Ne me comprenez pas mal : cette liste comprend des caractéristiques intéressantes telles que la rareté numérique, la décentralisation, l’immuabilité et la transparence.

Mais en fin de compte, ce qui importe le plus, c’est de savoir si les investisseurs, entrepreneurs, décideurs politiques, banquiers centraux et, enfin, le grand public y trouvent un intérêt et sont prêts à l’utiliser, et s’il existe une masse critique de personnes prêtes à adopter cette forme alternative de rareté, de valeur et de confiance et, par ce biais, à remettre en question, ne serait-ce qu’un peu, le système financier actuel.

Tache d’huile

S’agissant du Bitcoin, formuler une observation ou une analyse vraiment objective relève presque de l’impossible. Je parle d’expérience : à chaque fois que je tiens des propos légèrement moins flatteurs sur le Bitcoin, je suis enseveli sous une avalanche d’accusations, de reproches et pire encore.

Pourtant, un regard raisonnablement objectif permet de conclure que le Bitcoin s’est imposé cette année comme une composante à part entière des marchés financiers. Les ETF spot Bitcoin ont jusqu’à présent battu tous les records de leurs prédécesseurs, le nombre d’entreprises inscrivant des bitcoins à leur bilan augmente régulièrement, plusieurs fonds de pension d’État américains en ont acquis, et on a récemment appris qu’un fonds de pension britannique avait alloué 3 % de ses actifs au Bitcoin.

Trumpcoin 

Depuis le 5 novembre, on sait également que l’homme qui s’apprête à redevenir la personne la plus puissante de la planète (qu’on le veuille ou non) est lui aussi monté à bord du « train Bitcoin », flanqué de l’homme le plus riche du monde, qui détient depuis des années des bitcoins dans les comptes de sa « petite entreprise automobile ». Soyons clairs : Donald Trump reste avant tout un fervent défenseur de l’Amérique et du dollar, un point que les investisseurs en Bitcoin feraient bien de garder à l’esprit. Mais soyons honnêtes : qui aurait imaginé, il y a quatre ans, que le président des États-Unis ambitionnerait de faire de son pays une « superpuissance du Bitcoin » ?

Cette évolution dépasse largement les frontières américaines. Le simple fait que Donald Trump semble vouloir se lancer sérieusement dans le Bitcoin – avec, bien sûr, une certaine prudence – signifie que le reste du monde devra également réfléchir à sa propre position face à cette cryptomonnaie. Joana Cotar, une députée allemande indépendante, fait le même constat : « Si les États-Unis achètent du Bitcoin en tant que réserve stratégique, tous les pays européens seront gagnés par la FOMO. »

L’Allemagne, pour sa part, a déjà perdu plus d’un milliard d’euros en raison d’une règle de valorisation absurde qui l’a contrainte à vendre les 50 000 bitcoins qu’elle possédait.

Nouveau régime ?

Les acteurs de l’investissement semblent prudemment dépasser l’argument simpliste du « mais il n’a pas de valeur intrinsèque ». Prudemment, car de nombreux investisseurs continuent de s’accrocher au discours du « oui, mais il ne génère pas de flux de trésorerie ». Notons qu’un billet d’un dollar coûte environ cinq cents à produire. Sa valeur repose uniquement sur la confiance dans le système et ses institutions, qui garantissent qu’il peut être échangé contre des biens pour un dollar.

Tant que le nombre de dollars, d’euros, de yens et de livres – sans contre-valeur – continuera à augmenter à un rythme effréné, il est légitime de se demander si cette confiance dans le système ne risque pas d’atteindre ses limites, ce qui joue en faveur de tout ce qui est rare.

Vaches sacrées

Alors que les maximalistes du Bitcoin célèbrent leur succès, un peu de nuance s’impose. Il existe deux raisons principales pour lesquelles l’adoption, malgré les percées de cette année, ne doit pas d’emblée être considérée comme une victoire définitive. La première concerne les « vaches sacrées », un point que les experts pédants du Bitcoin ne semblent pas (vouloir) comprendre.

La grande majorité de l’écosystème d’investissement repose sur les actions et les obligations. L’introduction du Bitcoin dans ce paysage met sous pression des modèles économiques entiers. Or les CEO, actionnaires et autres parties prenantes n’aiment généralement pas cela. Il ne s’agit pas tant d’une incompréhension de leur part vis-à-vis du Bitcoin, mais plutôt du fait que cet « intrus » ne sert pas leurs intérêts, ce qui suscite une certaine résistance.

Cela nous amène directement au second point. La probabilité que le Bitcoin finisse par mourir à petit feu n’est pas nulle. Lorsqu’ils se sentent menacés par le Bitcoin, les acteurs établis réagissent. Les banques centrales, avec leurs monnaies numériques programmables qui comportent des risques pour la vie privée, en sont un bon exemple. Il suffit de jeter un œil sur le site de la BCE, où une poignée de responsables grisonnants au comportement très prévisible s’agitent comme si leur vie en dépendait. Et d’une certaine manière, c’est le cas.

Si les banquiers centraux, les hommes politiques et les géants de l’investissement traditionnel s’unissent pour interdire le Bitcoin, par exemple, les perspectives seront beaucoup moins réjouissantes. Mis à part les premiers cypherpunks, la plupart des gens s’en détourneront s’ils risquent des poursuites judiciaires.

Cela dit, il me semble que 2024 montre clairement que nous nous dirigeons dans la direction opposée. Le Bitcoin semble en passe de devenir un membre à part entière du petit groupe sélect des catégories d’investissement. Mais de là à dire que Trump deviendra the Crypto President, je n’oserais pas m’avancer.

Dans sa newsletter The Market Routine, Jeroen Blokland analyse des graphiques actuels qui reflètent certains aspects frappants macro-économiques et des marchés financiers. Il gère également le fonds Blokland Smart Multi-Asset, qui investit en actions, or et Bitcoin.

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