
Cette année, les obligations des marchés émergents ne sont pas seulement une alternative attrayante à la dette volatile des économies développées. Les sociétés de gestion européennes voient un changement structurel dans les politiques financières de ces pays. Amundi a même fusionné ses équipes chargées des marchés émergents et des marchés développés.
Les obligations des marchés émergents connaissent une année exceptionnellement favorable. La dette en monnaie locale a enregistré un gain d’environ 14 %, celle en devises fortes de 6 %. La faiblesse du dollar et les baisses des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine donnent un coup de pouce aux économies.
Mais selon Alessia Berardi, responsable de la stratégie macro émergente chez Amundi Investment Institute, l’évolution est plus fondamentale que cela. « Même avant la baisse des taux de septembre, la classe d’actifs affichait déjà de bonnes performances, explique-t-elle. Nous constatons une tendance structurelle : les pays émergents voient leurs finances s’améliorer, tandis que la vulnérabilité des économies développées s’accroît. Les frontières entre les deux mondes s’estompent. »
« Les banques centrales des marchés émergents ont tiré les leçons difficiles des années 1980, lorsque l’inflation est devenue incontrôlable », explique Mme Berardi. « Ils font désormais preuve de davantage de discipline que par le passé et sont également plus tournés vers l’intérieur, ce qui les rend moins dépendants de la politique de la Fed. »
Uday Patnaik, responsable du revenu fixe asiatique et de la dette émergente mondiale chez L&G, constate ce changement structurel surtout depuis la crise du Covid-19. « Les pays émergents ont commencé à mettre en place des politiques plus responsables », indique-t-il. « Ils ont augmenté les taux d’intérêt plus rapidement pour freiner l’inflation et ont désormais aussi une longueur d’avance en matière de baisse des taux. »
Mme Berardi cite l’exemple du Brésil. « Ce pays a déjà commencé à relever ses taux d’intérêt alors que la Fed commençait à les réduire, il y a un an. Les taux d’intérêt réels se situent aujourd’hui autour de 8 %, ce qui laisse une grande marge de manœuvre pour de nouvelles réductions », dit-elle.
Anciennes étiquettes, nouvelle réalité
Le terme « marché émergent » remonte à 1981. Il a été inventé par un économiste de la Banque mondiale pour remplacer le terme « tiers monde » par un terme plus acceptable. Mais plus de 40 ans plus tard, ce terme ne convient plus. L’économie mondiale a changé et cela se reflète sur les marchés financiers.
« Au début des années 1990, la part des marchés émergents dans le PIB mondial était d’environ 20 %, explique M. Patnaik. Aujourd’hui, elle est de l’ordre de 50 %. Le marché de la dette de ces pays est devenu le plus grand marché de crédit au monde, totalisant 29 000 milliards de dollars – dont 4000 à 5000 milliards en devises fortes et 24 000 milliards en devises locales. »
Croissance de la dette totale des marchés émergents
Pour Amundi, la plus grande société de fonds d’Europe, la fusion de ses équipes chargées des marchés émergents et des marchés développés est logique. « La convergence entre les deux marchés et l’évolution des besoins des clients exigent une intégration au sein des plateformes de titres à revenu fixe et d’actions », a déclaré la société.
Pourtant, l’étiquette « émergents » persiste. « Des pays comme les Émirats arabes unis ne sont pas inférieurs à la France en termes de qualité de crédit, déclare M. Patnaik, mais restent considérés comme plus risqués. Cela offre des opportunités aux investisseurs, avec un rendement attrayant pour un profil de risque presque égal. »
Alexis de Mones, gestionnaire de portefeuille obligataire chez Ashmore Group, observe la même tendance. « Si l’on tient compte du risque, les marchés émergents affichent de meilleures performances, explique-t-il. Les obligations des pays émergents deviennent moins volatiles, tandis que les marchés développés sont plus instables. Pourtant, ils offrent toujours un rendement plus élevé. » Sur les vingt dernières années, le ratio de Sharpe de la dette souveraine émergente est d’environ 0,45, et celui des obligations d’entreprises des pays émergents de 0,48. À titre de comparaison, les obligations américaines investment grade n’atteignent que 0,19, tandis que les variantes européennes plafonnent à 0,33. »
Solvabilité
Dans le même temps, les inquiétudes grandissent quant à la capacité de financement de la dette publique sur les marchés développés. « La partie longue de la courbe des taux dans les marchés développés est en forte hausse, explique M. Patnaik. C’est un signal clair de la part des marchés financiers que la volonté de continuer à financer la dette publique diminue. »
Le contraste avec les économies émergentes est saisissant. Le taux d’endettement moyen n’y est que de 65 % du PIB, contre 125 % dans le G7. Alors qu’ils consolident leurs budgets, les pays développés reçoivent des avertissements de la part des agences de notation. Par exemple, Moody’s a abaissé la note des États-Unis de Aaa à Aa1 en mai 2025, et Fitch a abaissé la note de la France de AA- à A+ en septembre en raison de l’augmentation des déficits et des tensions politiques.
En 2024, l’évolution des notations des marchés émergents a été la plus favorable depuis 2011, selon M&G Investments, avec 14 pays reclassés. La solvabilité des marchés émergents s’améliore à un moment où celle des pays riches s’effrite.
Des risques subsistent
Bien que les fondamentaux des marchés émergents soient solides, leur sort reste en partie lié à la politique de la Fed. Un resserrement inattendu ou un report des réductions de taux d’intérêt pourrait freiner le redressement de la dette émergente. « Si la Fed maintient son ton dur, les actifs à risque en souffriront, déclare M. Patnaik. Mais la dette émergente notée investment grade peut relativement bien résister à cette situation. »
« Des dégagements importants sur les actions américaines seraient également problématiques, affirme-t-il. Dans un tel scénario, les actifs à risque sont fortement corrélés entre eux et baissent ensemble. »