Bart Chiau
Bart Chiau

La planification successorale, c’est-à-dire la réflexion sur la transmission d’un patrimoine, n’est pas seulement utile aux plus fortunés. Selon le professeur Bart Chiau (UGent et banque  Nagelmackers), la sensibilisation à la question de l’héritage progresse même parmi les personnes moyennement fortunées. « Mais il est tout de même dommage que tant de gens ne prennent pas de dispositions particulières , car c’est dans ces cas-là que des drames se produisent. »

Bart Chiau enseigne la matière personal financial planning et la gestion des assurances à l’UGent (université de Gand) et travaille comme estate planner à la banque Nagelmackers. Dans son dernier ouvrage intitulé « Maak je erfgenamen gelukkig » (Rendez vos héritiers heureux), il s’intéresse, avec son coauteur Kurt De Sager, à la pratique de la planification successorale dans une société en mutation.

Selon M. Chiau, les chiffres indiquent que la planification successorale devient de plus en plus populaire. « Alors qu’auparavant un Belge sur cinq préparait sa succession, c’est désormais un Belge sur quatre qui le fait. Le tabou a largement disparu. Les gens parlent davantage d’argent et d’héritage, notamment grâce aux médias. Les nouvelles formes de cohabitation créent des structures familiales plus complexes. Les gens veulent également éviter que le fisc ne prenne trop d’argent et les parents sont aujourd’hui plus ouverts envers leurs enfants : ils veulent les aider à acheter leur maison et faire un don de leur vivant. »

Trois Belges sur quatre ne prennent aucune disposition concernant leur succession

« Pourtant, la majorité reste passive : trois personnes sur quatre ne font toujours rien. Même s’il y a une amélioration par rapport au passé, il est regrettable que tant de gens ne prennent pas de dispositions particulières, car c’est dans ces cas-là que des drames se produisent. Par exemple, j’ai déjà vu des partenaires qui avaient vécu ensemble pendant 60 ans mais qui n’avaient rien arrangé et le partenaire survivant avait dû quitter la maison après le décès. »

Un droit successoral trop classique

Selon M. Chiau, le droit successoral légal est en retard sur les changements sociétaux. « La loi est toujours basée sur le mariage traditionnel avec enfants. Les cohabitants légaux héritent uniquement de l’usufruit du logement familial et de son mobilier, et non de l’argent. Les cohabitants de fait n’héritent de rien du tout. »

Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal. « Chaque année, il y a 40 000 à 45 000 mariages, mais autant de cohabitations légales et deux fois plus de cohabitations de fait. En outre, les célibataires, les couples non cohabitants et les familles recomposées sont largement exclus de la protection juridique. Un petit pas en avant sera franchi en janvier : les célibataires pourront alors léguer jusqu’à 100 000 euros à la personne de leur choix, à un taux  de 3, 9 ou 27 %. C’est un point positif, mais limité pour les patrimoines importants. »

Là encore, M. Chiau constate que les héritages sautent de plus en plus souvent une génération. « Parce que les gens vivent plus longtemps. Lorsque les parents héritent, ils sont souvent eux-mêmes déjà à la retraite. Les grands-parents préfèrent alors donner directement à leurs petits-enfants, par exemple pour les aider à acquérir un bien immobilier ou une entreprise. »

Cela peut également s’avérer intéressant d’un point de vue fiscal. « En répartissant sur plusieurs héritiers, on commence toujours au taux le plus bas. Les petits-enfants peuvent recevoir jusqu’à 12 500 € non imposables d’un grand-parent, ou 25 000 € d’un couple s’il s’agit d’un petit héritage. Attention à ne pas se précipiter toutefois. Les enfants restent des héritiers réservataires. Ils peuvent réclamer leur part pendant 30 ans après le décès de leurs parents. Il faut donc toujours les impliquer dans le plan. »

La donation reste une option judicieuse

Même si les droits de succession flamands seront quelque peu réduits dans un avenir proche, il est toujours judicieux de faire une donation. « Le gouvernement souhaite que la donation reste moins chère que l’héritage. Mais les gens doivent être réalistes : ils doivent toujours garder de l’argent pour eux-mêmes. Nous vivons plus longtemps, nous voyageons davantage et les factures de soins de santé augmentent. Aujourd’hui, une maison de repos coûte facilement 2 800 euros par mois. »

Son conseil : donnez, mais gardez le contrôle. « Vous pouvez parfaitement faire un don aujourd’hui sous certaines conditions. Conservez l’usufruit, prévoyez une charge d’intérêts ou stipulez que le bien donné n’entre pas dans la communauté matrimoniale ou dans l’indivision. Cela permet d’éviter qu’un ex-partenaire n’en bénéficie ultérieurement. Une donation bien pensée apporte de la tranquillité d’esprit. »

Héritage numérique

La numérisation de la planification successorale constitue un volet important du nouvel ouvrage de M. Chiau. « Le coffre-fort numérique Izimi, développé en collaboration avec la profession notariale, est un outil puissant. Vous pouvez y conserver les actes et les contrats en toute sécurité afin que les héritiers puissent tout retrouver. ERFonline, pour la déclaration de succession, et le simulateur d’héritage de Wikifin sont également des outils précieux. »

Selon M. Chiau, la numérisation s’étend désormais au patrimoine lui-même. « Les portefeuilles de cryptomonnaie, les NFT et les comptes de médias sociaux font de plus en plus partie d’une succession. Si les héritiers n’ont pas accès aux codes, cela représente de l’argent ou des données perdus. Enregistrez donc vos identifiants dans un coffre-fort numérique et désignez une personne de confiance qui y aura accès en cas de décès, avec des instructions sur le fonctionnement de la plateforme. »

Il ne s’agit pas seulement d’une question d’argent, mais aussi d’un héritage émotionnel. « J’ai récemment reçu une notification d’anniversaire sur Facebook de la part d’un ami décédé l’année dernière. Cela a un impact émotionnel et montre l’importance du suivi numérique. On peut créer une page commémorative ou faire supprimer le compte, mais quelqu’un doit être en mesure de le faire. »

Improvisation ou expertise ?

Les outils numériques donnent aux gens plus d’autonomie, mais ne remplacent pas les conseils d’un professionnel, selon M. Chiau. « Dès que le dossier devient complexe, l’intervention d’un notaire ou d’un conseiller est indispensable. Les outils numériques rendent le processus plus efficace, mais ne le remplacent pas. Un testament écrit à la main donne souvent lieu à des discussions sur la validité et l’intention, tandis que les actes notariés apportent de la certitude. »

Selon lui, l’autonomie numérique croissante s’accompagne également de risques. « Certains font rédiger leur testament par ChatGPT ou par un site étranger. C’est s’attirer des ennuis. Une seule disposition erronée peut tout invalider. Il n’existe pas de testament en ligne en Belgique : vous devez l’écrire vous-même ou le faire rédiger par le notaire. »

La collaboration reste donc cruciale. « Les planificateurs successoraux jouent un rôle de coordination. Nous veillons à ce que les notaires, les avocats fiscalistes et les banquiers privés soient sur la même longueur d’onde. Chez Nagelmackers, nous soutenons les banquiers privés afin qu’ils puissent se concentrer sur la gestion d’actifs. La planification successorale est un service complémentaire, pas un canal de vente. »

Actualités fiscales

Il reste serein sur les questions fiscales actuelles. « La réduction annoncée des droits de succession est limitée : une exonération plus élevée pour les partenaires et un taux préférentiel pour les célibataires, rien de plus. La grande réforme a été reportée. Regardez aussi la différence avec la Wallonie. À partir de 2028, les droits de succession diminueront de moitié dans la plupart des catégories. La Wallonie devient donc soudainement moins chère que la Flandre. Je me demande comment la Flandre va réagir. »

Il estime que la nouvelle taxe sur les plus-values est défendable. « 10 %, ce n’est pas si mal quand on sait que l’alternative serait un impôt sur l’ensemble des revenus. Mais la communication est faible : il y a encore beaucoup d’incertitude parmi les clients et les banques. Et la taxe sur les millionnaires ? Cette mesure est politiquement symbolique mais économiquement risquée. Cela peut provoquer une fuite des capitaux, ce qui n’aide pas l’économie. »

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