Photo: Pexels/Pixabay.
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L’investissement durable n’est plus un projet moral ni un mot à la mode. L’ESG, qui se résumait autrefois à une liste de cases à cocher et à des questions de réglementation, est maintenant au cœur de la gestion des risques. Les investisseurs du Royaume-Uni et des Pays-Bas considèrent de plus en plus la durabilité comme un élément important et déterminant pour les rendements à long terme.

Ceux qui ont assisté à la conférence de Morningstar sur le développement durable à Amsterdam cette année ont immédiatement remarqué que l’atmosphère était différente. Les bannières sont plus petites, la liste des sponsors plus restreinte. Seule State Street était encore au premier plan. Dans les couloirs, l’acquisition « coûteuse » de Sustainalytics par Morningstar a été aussi souvent évoquée que les objectifs climatiques ou les nouvelles règles de ­gouvernance.

On pourrait u voir une métaphore pour l’ensemble du secteur. Alors que sa progression semblait inarrêtable il y a quelques années seulement, l’investissement durable est désormais en perte de vitesse. Les équipes ESG subissent des coupes de personnel, les flux de capitaux vers les fonds durables s’essoufflent et le public est nettement plus critique.

Toutefois, en y regardant de plus près, il ne s’agit d’une dégradation, mais plutôt d’une évolution. Autrefois perçu comme un projet moral ou une simple liste de contrôle à la mode, l’ESG est devenu une composante essentielle de la gestion des risques.

De l’idéalisme au réalisme

« L’ESG se porte très bien », déclare Dan Grandage, Chief Sustainability Officer chez Aberdeen. « Nous assistons à une réinitialisation de tout le concept. Il ne s’agit pas de se cantonner à des slogans, mais de reconnaître les risques et les opportunités, de les intégrer dans le processus et d’agir en conséquence. Cela ne changera pas. »

Karel Nierop, Head of Products & Solutions chez Triodos Investment Management, constate lui aussi ce revirement. « Les entreprises qui prennent en compte le climat et la biodiversité sont en général exposées à moins de risques que celles qui ne le font pas. Cela permet de générer des rendements. C’est pourquoi les fonds de pension se retirent massivement du pétrole et du gaz : ils considèrent qu’il s’agit là des actifs échoués du futur. »

Au cœur du portefeuille

L’enquête Voice of the Asset Owner de Morningstar, présentée à Amsterdam, montre que 61 % des investisseurs institutionnels associent désormais l’ESG à leur devoir fiduciaire, contre 53 % l’année dernière. Seuls 6 % d’entre eux estiment qu’il s’agit d’un obstacle. De plus en plus de fonds intègrent l’ESG non plus partiellement, mais au cœur de leur portefeuille.

« Les investisseurs misent pleinement sur la durabilité, en particulier en Europe », déclare Rob Edwards. « Il ne s’agit plus d’une philosophie, mais d’un risque matériel », selon le Managing Director of Indexes.

L’étiquette s’efface

Si les chiffres sont convaincants, le terme ESG perd de son éclat. Les investisseurs préfèrent parler « d’investissement durable » ou « d’investissement responsable ». Selon Hortense Bioy, responsable de la recherche sur le développement durable chez Morningstar, il ne s’agit pas d’une perte, mais d’un gain. « L’investissement durable continuera d’exister en tant que cadre. Le changement climatique n’est pas près de disparaître. Ce qui manque, c’est plus d’action. »

La réglementation oblige à être plus honnête. La lutte de l’Europe contre l’écoblanchiment a déjà incité des centaines de fonds à changer de nom.

Problèmes au démarrage

Peu de transactions ont incarné le battage médiatique aussi fortement que l’achat de Sustainalytics par Morningstar en 2020. Pour 185 millions de dollars, la société de notation basée à Amsterdam est passée aux mains d’un acteur américain. 

Cinq ans plus tard, il semble que la division soit confrontée à des vents contraires. Au deuxième trimestre 2025, la société a enregistré « des coûts plus élevés en raison d’indemnités de licenciement liées à une réorganisation ciblée de Morningstar Sustainalytics ». L’année dernière, les revenus de la branche ESG Risk Ratings ont chuté, en raison de « l’augmentation des annulations dues à la consolidation des fournisseurs et à la faiblesse de certains segments de la gestion d’actifs de détail et du patrimoine ». Autrefois vendues comme un produit haut de gamme, les données ESG sont désormais considérées par de nombreux clients comme une information standard, facile à remplacer ou à fusionner.

En avril, Morningstar a supprimé quatre-vingts emplois supplémentaires chez Sustainalytics, qui s’ajoutent à la réduction de 12 % des effectifs moins de deux ans auparavant. Les intitulés de poste ESG disparaissent dans l’ensemble du secteur. Selon Bloomberg, moins de 7 % des personnes ayant obtenu un poste spécifique dans le domaine de l’ESG en 2020 détiennent encore ce titre aujourd’hui.

Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à la durabilité, mais bien que les analystes, les gestionnaires de portefeuille et les gestionnaires de risques sont désormais censés intégrer eux-mêmes le climat et la gouvernance. La section ESG distincte, comme l’étiquette ESG sur un fonds, est en train de se fondre dans le courant dominant.

L’énergie donne le ton

Pourtant, il est un domaine où l’ESG est plus visible que jamais : l’énergie. Selon l’Agence internationale de l’énergie, environ 2000 milliards de dollars seront consacrés aux énergies propres d’ici à 2025, soit près de deux fois plus que les énergies fossiles.

« Le génie est sorti de la bouteille », déclare M. Grandage. « Solaire, VE, éolien : il n’y a pas de retour en arrière. La politique peut ralentir l’évolution, mais elle ne l’arrêtera pas. »

Deux univers

Le comportement de vote des investisseurs montre à quel point les points de vue divergent. Aux États-Unis, Vanguard vote contre toute résolution durable depuis deux ans. Blackrock a fortement réduit son soutien. En revanche, les fonds européens continuent à soutenir sans relâche les propositions climatiques et sociales.

« Les investisseurs ne peuvent plus se contenter d’une vision globale de l’ESG, déclare Lindsey Stewart de Morningstar. Ils se concentrent sur des thèmes qui sont vraiment matériels et réalisables. »

Le silence de l’Amérique

Autre phénomène notable : la montée en puissance du greenhushing. Le terme désigne le fait que les gestionnaires de fonds mettent en œuvre le développement durable, mais préfèrent ne pas en parler. Les craintes de vents contraires politiques aux États-Unis sont élevées. « Ce silence ne signifie pas que l’ESG n’est plus à l’ordre du jour », précise M. Stewart. « Cela montre à quel point le sujet est politisé. »

Karel Nierop souligne également le paradoxe américain. « En fait, l’ESG n’est plus du tout adopté à Washington. Au contraire, des pressions sont exercées pour que l’on investisse davantage dans le pétrole et le gaz. Mais l’intérêt intrinsèque des grands investisseurs pour l’écologie demeure. »

Une nouvelle phase

Ce qui émerge à Amsterdam et au-delà est clair : l’ESG est entré dans une nouvelle phase. Le battage médiatique est terminé, les positions politiques sont plus tranchées. Mais les facteurs sous-jacents – risque climatique, stabilité sociale, bonne gouvernance – sont plus fondamentaux que jamais.

« En fin de compte, c’est le marché qui décide de la destination des flux de capitaux », dit M. Nierop. « Et il s’agit de plus en plus d’entreprises qui proposent des solutions aux grands défis de notre époque. »

« Cette question ne relève pas de l’idéalisme. La logique financière de la transition se renforce. C’est pourquoi l’ESG continue d’exister », résume Dan Grandage.

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