Deux collaborations transfrontalières majeures dans le secteur des fonds européens sont en perte de vitesse. Les Italiens semblent vouloir être moins dépendants des sociétés de fonds françaises, tant pour la vente que pour la gestion des investissements.
Alors qu’Unicredit, la deuxième banque italienne, s’apprête à mettre fin à son accord de distribution de longue date avec Amundi, les négociations de fusion entre Generali Investments et Natixis Investment Managers sont au point mort.
Ces deux évolutions reflètent un changement plus général au sein des institutions italiennes : elles souhaitent un meilleur contrôle stratégique de la gestion des investissements et de la distribution, même si la consolidation reste un objectif clé du secteur.
Rupture entre Unicredit et Amundi
La rupture la plus visible se situe entre Amundi, la plus grande société de fonds d’Europe, et Unicredit, l’un de ses principaux partenaires de distribution en Italie. Amundi a acquis la filiale d’Unicredit, Pioneer Investments, en 2017 pour 3,5 milliards d’euros, s’assurant ainsi un accès exclusif à la clientèle de la banque. Le contrat, qui court jusqu’en 2027, impose à Unicredit d’investir une grande partie des actifs de ses clients dans des fonds Amundi, mais cette part est en baisse depuis un certain temps.
« Il s’agit de reprendre le contrôle du flux de revenus, mais aussi des tensions avec le Crédit Agricole. »
Luigi Tramontana, Kepler Cheuvreux
Sous la direction de son CEO, Andrea Orcel, Unicredit ambitionne de générer davantage de revenus propres grâce à ses produits d’investissement. « Nous voulons maîtriser une plus grande partie de la chaîne de valeur », a-t-il déclaré en octobre lors de la présentation des résultats du troisième trimestre. La banque a reconstruit sa propre activité de gestion d’actifs, a progressivement détourné les flux de trésorerie malgré les pénalités contractuelles et semble maintenant prête à mettre fin au partenariat de manière anticipée.
Selon Luigi Tramontana, analyste chez Kepler Cheuvreux, il y a des raisons à la fois financières et politiques à cela. « Il s’agit de reprendre le contrôle du flux de revenus, mais aussi des tensions avec le Crédit Agricole », explique-t-il.
Ces tensions se sont accrues après que le Crédit Agricole, société mère d’Amundi, a bloqué la tentative d’Unicredit de racheter la banque italienne Banco BPM cette année. La récente décision d’Unicredit de confier ses services de titres à BNP Paribas, en lieu et place du Crédit Agricole, est perçue comme un nouveau signe de la rupture entre les deux groupes. Un autre analyste souligne qu’Unicredit est à la recherche d’une plus grande flexibilité : « La banque veut élargir son offre de produits et gérer elle-même la chaîne de valeur. »
10 % des bénéfices d’Amundi
Amundi a reconnu la semaine dernière, dans sa publication de résultats, que les conditions d’une prolongation de l’accord « n’ont pas encore été établies ». L’Italie reste le plus grand marché étranger d’Amundi, avec quelque 88 milliards d’euros d’actifs liés à Unicredit. Selon Johann Scholtz, analyste chez Morningstar, le partenariat représente environ 10 % du bénéfice net d’Amundi. Une rupture, même progressive, aurait donc un poids stratégique considérable.
Generali et Natixis : la fusion en suspens
Les négociations entre Generali et Natixis Investment Managers seraient également au point mort, a rapporté Reuters la semaine dernière. Selon l’agence de presse, des sources au sein des entreprises font état de désaccords sur la valorisation, la gouvernance et les sensibilités politiques.
Selon Mara Dobrescu, Senior principal chez Morningstar, les questions d’intégration jouent un rôle important. « Natixis a toujours eu une structure très autonome pour ses filiales, telles que Loomis Sayles », a-t-elle déclaré à Citywire Italia. « Cette indépendance favorise la diversité des cultures d’investissement, mais elle a également exposé des risques, comme on l’a vu avec H2O, dont Natixis est toujours en train de se désengager. »
Les acquisitions précédentes de Generali, telles que celle du prêteur direct américain MGG le mois dernier et celle de Conning, un gestionnaire américain axé sur les actifs d’assureurs, compliqueraient encore davantage une fusion. « Il est difficile d’imaginer comment une entité aussi diverse peut fonctionner comme une plateforme cohérente », affirme Mme Dobrescu.
Les pourparlers de fusion, entamés en 2023, devaient aboutir à la création d’une plateforme multi-boutiques dont le siège serait à Amsterdam et qui deviendrait la deuxième plus grande société de fonds en Europe. Selon Il Sole 24 Ore, Generali a depuis lors demandé un délai supplémentaire et souhaite supprimer la clause de pénalité d’environ 50 millions d’euros incluse dans le mémorandum initial.
Des hauts dirigeants de Generali se seraient rendus à Paris à plusieurs reprises ces dernières semaines. La suppression de l’amende permettrait aux deux parties de sortir des négociations sans perdre la face.
Mme Dobrescu prévient qu’une incertitude persistante pourrait être préjudiciable aux gestionnaires de portefeuille. « L’indécision prolongée sape le moral, détourne l’attention des activités principales et, dans le pire des cas, peut entraîner le départ de talents. »
BNP Paribas flaire une opportunité
Alors que l’emprise d’Amundi sur Unicredit s’affaiblit, BNP Paribas a déjà laissé entendre qu’elle était ouverte à une collaboration. Lors de la présentation des résultats trimestriels la semaine dernière, Jean-Laurent Bonnafé a déclaré que son groupe envisagerait « bien sûr » un partenariat avec Unicredit si l’accord avec Amundi venait à se terminer. La récente acquisition d’AXA Investment Managers pour un montant de 5,1 milliards d’euros renforce la position de BNP en tant que successeur crédible.
De plus, BNP Paribas offre déjà des services de dépôt pour Unicredit en Italie, en Allemagne et au Luxembourg, une bonne base qui ouvre la voie à une collaboration encore plus étroite.
Selon des sources internes, le nouvel accord de distribution devrait être moins exclusif et plus flexible, ce qui correspondrait mieux à la stratégie d’Unicredit consistant à combiner ses propres fonds et des fonds externes selon ses propres conditions.