
Les gestionnaires de fonds de capital-investissement ont connu un premier semestre particulièrement difficile, avec un nombre d’opérations nettement inférieur et beaucoup moins d’argent frais. Notre question du mois pour notre panel Parlons marché est donc : comment les investisseurs doivent-ils faire face aux problèmes actuels de liquidité dans cette classe d’actifs ?
Sophie Manigart, professeur de finance entrepreneuriale à la Vlerick Business School : « Pour les nouveaux fonds, les périodes difficiles, comme maintenant, offrent généralement des opportunités intéressantes »
« Le secteur du capital-investissement traverse une période de blocage. Un fonds de capital-investissement investit dans des entreprises non cotées en Bourse, crée de la valeur et les vend, le tout pendant la durée convenue du fonds, généralement 10 ans. Pour les investisseurs, les investissements dans les fonds de capital-investissement sont donc de toute façon illiquides. Le moment du retrait et du remboursement de leurs actifs est entièrement déterminé par les gestionnaires de capital-investissement, pour autant qu’il s’inscrive dans les périodes convenues. »
« Pour donner de la liquidité aux LP (limited partner ou investisseur), les sorties sont essentielles. C’est là que le bât blesse. La voie de sortie la plus courante pour une participation réussie est l’acquisition par une autre entreprise. Mais le terne des marchés de fusions et d’acquisitions au niveau mondial rend cela plus difficile. »
Le secteur du capital-investissement traverse une période de blocage.
« Les introductions en Bourse sont très rares en Belgique et il est également plus difficile de vendre à d’autres acteurs du secteur du capital-investissement, qui sont confrontés à des problèmes de sortie similaires. Les avoirs restent donc en portefeuille beaucoup plus longtemps que prévu : le secteur du capital-investissement est bloqué et les LP doivent attendre plus longtemps pour récupérer leurs dépôts. »
« En conséquence, certains LP n’investiront plus dans de nouveaux fonds : ils n’ont pas de liquidités qu’ils peuvent recycler. Mais c’est une mauvaise idée : dans l’idéal, un LP continue d’investir tout au long des cycles. Pour les nouveaux fonds, les périodes difficiles, comme maintenant, offrent généralement des opportunités intéressantes. »
« Le secteur du capital-investissement crée des solutions pour résoudre le problème des liquidités. Les fonds de continuation reprennent la ou les participations restantes à la fin de la période, et chaque LP peut décider individuellement d’y participer. Mais il faut preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne le prix proposé. En effet, les GP (general partner ou gestionnaire) se vendent « à eux-mêmes », ce qui n’est pas évident. Un prix trop élevé est négatif pour les LP qui reviennent sur le marché, mais un prix trop bas est négatif pour les LP qui vendent. »
« Une autre solution consiste à vendre une position individuelle de LP sur le marché secondaire, à de nouveaux acteurs spécialisés ou parfois à d’autres LP. Mais cela a bien sûr un prix. Le marché secondaire n’étant pas encore mature, le prix offert est donc souvent bien inférieur à la valeur estimée des avoirs restants. Des décotes de 20 à 30 % ne sont pas rares. Un LP ne le fait que si c’est vraiment nécessaire. »
« Il n’y a donc pas de solution miracle. Avant d’investir dans un fonds de capital-investissement, chaque LP doit procéder à une analyse approfondie de ses propres besoins en liquidités et tenir compte d’éventuels retards dans les distributions. Au cours de la décennie précédente, les fonds ont vendu très rapidement leurs participations, créant ainsi l’illusion d’une durée plus courte pour le capital-investissement. Cette illusion a été brisée. »
Riet Vijgen, gestionnaire de portefeuille chez Leo Stevens & Cie : « Investir dans le capital-investissement par le biais de holdings »
« Opter pour le capital-investissement offre de nombreux atouts intéressants. Cela ouvre la porte à un univers plus large d’entreprises et peut apporter une valeur ajoutée évidente, tant en termes de rendement attendu que de diversification des risques, grâce à sa faible corrélation avec les actions et les obligations échangées en Bourse. »
« Il y a cependant quelques réserves importantes à formuler. Ce type d’investissement nécessite généralement un capital de départ important, ce qui, dans la pratique, le réserve souvent à des investisseurs institutionnels ou à des personnes très fortunées. Grâce aux Eltif, le marché est devenu légèrement plus accessible ces dernières années, mais la principale pierre d’achoppement reste le manque de liquidités. »
« En effet, les investissements en capital-investissement sont intrinsèquement réalisés à long terme et, pendant cette période, le capital n’est pas négociable. Pour pallier cet inconvénient, plusieurs formes intermédiaires existent aujourd’hui, souvent sous la forme de fonds de fonds. Ces derniers créent un certain degré de semi-liquidité, avec des options de sortie proposées sur une base trimestrielle, voire mensuelle. »
« Pour nos clients, nous préférons investir dans des participations cotées en Bourse afin d’exploiter le potentiel du capital-investissement d’une manière particulièrement liquide. En effet, plusieurs holdings cotées en Bourse en Belgique et en Europe investissent largement, voire entièrement, dans le capital-investissement. Elles ont des années d’expertise ou travaillent avec les acteurs les plus spécialisés du secteur tels que Sequoia – des partenariats qui ne sont généralement pas accessibles aux investisseurs individuels. »
Grâce aux holdings cotées en Bourse, le risque de liquidité reste limité.
« Le grand avantage de ce système est qu’il ne nécessite pas de droits d’entrée élevés, qu’il n’y a pas de durée fixe et que le risque de liquidité est limité grâce à la négociabilité quotidienne des avoirs. De plus, avec une seule action, vous bénéficiez immédiatement d’une large diversification, à un coût inférieur à celui d’un investissement dans un fonds de capital-investissement classique. »
« Un bon exemple est Sofina, que nous considérons comme un modèle de capital-investissement liquide et attrayant. Plus de 90 % du portefeuille est constitué d’entreprises non cotées, dont des noms tels que ByteDance, Mistral AI, SpaceX et Vinted. Au cours des dix dernières années, l’action a réalisé un rendement total de 200 %, soit une moyenne de 11 % par an. De plus, Sofina offre des dividendes annuels attrayants, ce qui ajoute à l’attrait de la société, qui bénéficie actuellement d’une décote d’environ 17 %. »
Thomas Guenter, fondateur de Finhouse : « Il faut absolument être strict sur la sélection des fonds »
« L’avantage du capital-investissement (PE), dans lequel nous incluons le capital-risque (VC), a toujours été que les rendements sont plus élevés que sur le marché boursier. Les investisseurs en capital-investissement ne paient pratiquement pas de retenue à la source, ni de taxes sur les opérations de Bourse ou sur les valeurs mobilières. Ce régime fiscal favorable contribue également au fait que les familles fortunées consacrent généralement la majeure partie de leur patrimoine au capital-investissement et au capital-risque. »
« Ce rendement plus élevé s’accompagne d’un manque de liquidité. Les fonds de capital-investissement et de capital-risque mettent des années à investir l’argent des investisseurs dans des entreprises, à les développer et à les vendre avec un bénéfice. Seul l’argent dont vous n’avez pas besoin à long terme doit être investi dans le capital-investissement. En principe, ceux qui adoptent cette approche ne peuvent pas se retrouver en difficulté si les distributions prennent plus de temps que prévu. Grâce à la diversification, vous pouvez donc éviter les problèmes au lieu de devoir trouver une solution immédiatement. »
« Le récent ralentissement de l’activité des introductions en Bourse complique les sorties de capitaux vers les investisseurs, en particulier pour les grands fonds. En tant qu’investisseur, cela nous rappelle qu’il faut investir dans le capital-investissement de la bonne manière. Pour mon premier livre, j’ai parlé à de nombreux experts du secteur et tous m’ont dit la même chose : investissez par l’intermédiaire d’un fonds de fonds, et non d’un fonds nourricier. En effet, la diversification est importante : non seulement entre les classes d’actifs, mais aussi au sein des classes d’actifs. »
Les fonds de fonds sont préférables aux fonds nourriciers.
« Dans de nombreux fonds de capital-investissement, le montant minimum de l’investissement s’élève à des centaines de milliers, voire à des millions d’euros. Les banques et les gestionnaires d’actifs rendent ces fonds accessibles en créant des fonds nourriciers accessibles à partir de montants plus faibles. L’inconvénient d’un fonds nourricier est que votre argent n’aboutit qu’à un seul « fonds mère ». Un fonds de fonds fonctionne de la même manière, mais votre argent va dans plusieurs fonds, ce qui préférable. »
« Pour les gestionnaires d’actifs, la sélection des fonds est plus importante que jamais. Avec le fonds de fonds Finhouse, par exemple, nous exigeons que tous les fonds dans lesquels nous investissons aient un solide historique de distribution. Seuls les fonds de gestionnaires qui parviennent à effectuer de bonnes distributions rapidement entrent dans notre composition. En outre, du fait des taux d’intérêt plus élevés en vigueur actuellement, il est important de s’assurer que les rendements historiques des fonds de capital-investissement sont le résultat d’améliorations opérationnelles dans les entreprises du portefeuille plutôt que d’ingénierie financière. »
Investment Officer Belgique examine chaque mois la manière dont des personnalités sectorielles traitent les questions d’allocation d’actifs. Avez-vous une question à poser à notre panel Parlons marché ? Envoyez un e-mail à redactie@investmentofficer.com, en mentionnant en objet « Parlons marché ». Votre question sera peut-être choisie le mois prochain.