Les fonds de pension européens et les family offices s’appuient depuis longtemps sur les marchés privés pour leurs investissements à long terme. Ce modèle commence à s’imposer dans le système de retraite des particuliers aux États-Unis. L’administration Trump s’apprête en effet à autoriser les épargnants détenteurs de plans 401(k) à s’exposer aux actifs privés, ce qui pourrait ouvrir un marché de milliers de milliards de dollars aux gestionnaires alternatifs dès le mois de février.
Les modalités d’intégration des actifs du marché privé dans les 401(k) demeurent incertaines. « Nous discutons tous les jours avec des promoteurs de régimes de retraite qui nous posent toujours la même question : L’ajout d’investissements sur les marchés privés à notre plan risque-t-il de nous exposer à des poursuites judiciaires ? », explique Robert Sichel, associé chez K&L Gates et conseiller en matière de régimes de retraite. « La responsabilité fiduciaire est au cœur de toutes ces discussions. »
La résolution de cette incertitude représente un potentiel énorme pour les gestionnaires alternatifs. Les actifs de retraite américains représentent environ 44 000 milliards de dollars, dont environ 12 000 milliards dans le cadre de plans 401(k) à cotisations définies. Même une allocation modeste vers les marchés privés représenterait l’une des plus grandes réserves de capitaux jamais ciblées par le secteur.
Frais élevés, liquidité limitée et difficultés de valorisation
Une réponse semble se profiler à l’horizon. Un décret présidentiel d’août dernier a demandé au ministère du Travail de faciliter l’inclusion d’investissements alternatifs dans les régimes à cotisations définies. L’ordonnance demande à l’agence de clarifier, dans un délai de 180 jours, ce qu’est un « processus fiduciaire approprié » lorsqu’un régime utilise des actifs privés dans des fonds à date cible ou des fonds d’investissement collectifs.
Le risque juridique découle de la structure du système de retraite américain. En vertu de l’Employee Retirement Income Security Act (ERISA), les fiduciaires des régimes peuvent être poursuivis en justice si les options d’investissement sont jugées imprudentes ou trop coûteuses. Les actifs privés concentrent précisément les craintes des promoteurs. Selon M. Sichel, elles portent sur les frais élevés, la liquidité limitée et les difficultés de valorisation.
L’inquiétude est d’autant plus grande que le système américain diffère fortement de celui de l’Europe. Dans la plupart des pays européens, les retraites professionnelles sont gérées par des administrateurs institutionnels qui prennent les décisions d’investissement pour des millions de travailleurs. L’exposition au capital-investissement, aux infrastructures et au crédit privé est courante. En revanche, un plan 401(k) américain est un plan à cotisations définies dans lequel les épargnants individuels choisissent leurs propres fonds à partir d’un menu fourni par leur employeur, laissant aux retraités la responsabilité de leur propre allocation d’actifs.
Des capitaux inépuisables pour les sociétés de capital-investissement
L’attrait pour les gestionnaires d’actifs privés est évident. Le capital est engagé à long terme, les cotisations sont automatiques et les flux sont beaucoup plus stables que sur les comptes de courtage. Pour les gestionnaires de capital-investissement et de crédit privé habitués à des engagements de dix ans, le système à cotisations définies est ce qui se rapproche le plus d’une base de capital perpétuelle sur le marché de détail.
Les plus grands acteurs se positionnent déjà sur ce vaste potentiel. Blackstone a lancé cette année une unité commerciale dédiée aux 401(k), après une décennie de lobbying en faveur d’une modification de la réglementation, et a nommé des cadres pour diriger les partenariats, le développement des produits et la formation.
Apollo Global Management a créé une division de vente au détail et conclu des alliances avec State Street, Lord Abbett et d’autres pour lancer des ETF de crédit privé, des fonds à intervalles et des produits de retraite. L’entreprise a levé environ 5 milliards de dollars auprès de gestionnaires de patrimoine au cours du seul troisième trimestre, la demande de fonds semi-liquides ayant fortement augmenté.
Ares Management, de son côté, a adopté une position plus prudente. Le CEO Michael Arougheti a déclaré qu’il n’était toujours pas convaincu que l’association de gestionnaires traditionnels et alternatifs produisait de meilleurs résultats pour les épargnants en vue de leur retraite, bien que la société continue d’explorer les possibilités, comme l’a rapporté Bloomberg ce mois-ci.
Les règles pourraient changer
Dans un renversement des rôles habituels, certains gestionnaires de capital-investissement signalent désormais les risques potentiels pour les retraités, tandis que la SEC, habituellement prudente, semble plus optimiste.
Robert Morris, fondateur du groupe de capital-investissement Olympus Partners, a averti les fonds souverains que les frais des produits de capital-investissement conçus pour les épargnants 401(k) pourraient réduire les rendements nets à des niveaux inférieurs à ceux des simples fonds indiciels d’actions, tout en ajoutant un risque important pour les particuliers qui ne sont peut-être pas préparés à absorber des pertes.
Dans le même temps, Mark Uyeda, commissaire de la SEC, a fait valoir dans un récent discours que les épargnants retraités ne devraient pas être totalement exclus des marchés privés, notant que la concentration des indices boursiers américains rendait la diversification d’autant plus nécessaire. Selon lui, la question est de savoir comment obtenir de meilleurs rendements corrigés du risque, et non de savoir si l’exposition au marché privé doit être nulle.
La SEC a également supprimé certaines règles plus anciennes, abandonnant notamment une politique interne qui limitait certains fonds exposés aux actifs privés aux seuls investisseurs professionnels. Elle a également assoupli les règles de co-investissement, ce qui permet aux fonds de détail d’investir plus facilement aux côtés de fonds privés gérés par le même gestionnaire.
Cependant, alors que les produits se multiplient, M. Sichel prévient que le marché pourrait bien aller au-delà de la compréhension des investisseurs. Il souligne que le risque de liquidité réside dans l’incapacité des actifs du marché privé à fournir les flux de trésorerie ou les rachats requis par les structures des plans 401(k), ce qui pourrait empêcher le rééquilibrage et exposer les fiduciaires à des poursuites judiciaires.