A panel at the World Pensions Conference in London last week. Photo: IO.
A panel at the World Pensions Conference in London last week. Photo: IO.

La montée en puissance des marchés privés oblige les fonds de pension européens à repenser leur gouvernance et leur taille critique. Lors de la World Pensions Conference à Londres, plusieurs experts ont cité l’Australie et le Canada, pionniers de l’intégration des actifs illiquides, comme des modèles que l’Europe ne peut plus ignorer.

Organisé dans le cadre du forum annuel du World Pensions Council – qui se présente comme un laboratoire mondial de l’innovation dans les retraites, où naissent des idées qui se diffusent ensuite dans les pratiques courantes – la World Pensions Conference réunissait à Londres décideurs, investisseurs institutionnels et spécialistes de la gestion de long terme pour réfléchir à l’évolution des portefeuilles. Un message a dominé les débats : alors que de plus en plus de création de valeur se fait en dehors des marchés cotés, les fonds européens risquent d’être distancés s’ils ne développent pas les capacités nécessaires pour investir dans le private equity, la dette privée ou les infrastructures.

L’Australie comme référence

Nick SherryNick Sherry faisait partie des intervenants les plus écoutés sur le sujet. Ancien ministre australien des retraites et du droit des sociétés, il a contribué à façonner le système de retraite australien moderne dans les années 2000. Il a notamment joué un rôle clé dans la Cooper Review de 2010, qui a accéléré la consolidation du secteur, renforcé la gouvernance et favorisé l’émergence de grands fonds capables d’opérer à l’échelle mondiale.

Aujourd’hui co-président de Team Super, un fonds récemment fusionné de 22 milliards de dollars représentant les travailleurs du transport, de l’énergie et du secteur minier, Nick Sherry est également reconnu comme ambassadeur international des retraites, conseillant gouvernements et conseils d’administration. « Les entreprises restent privées de plus en plus longtemps, a-t-il rappelé. Si les fonds de pension ne peuvent pas y accéder, ils passent à côté d’une part croissante de la création de valeur. »

Selon Willis Towers Watson, les systèmes de retraite mondiaux – qui pèsent environ 58 500 milliards de dollars – ont progressivement déplacé une partie de leurs capitaux des marchés cotés vers les actifs alternatifs au cours des deux dernières décennies. Ses données de long terme montrent une rotation persistante hors des actions cotées vers les marchés privés, motivée par la recherche de diversification et de rendements à horizon long.

Au Canada et en Australie, les allocations en actifs privés dépassent régulièrement les 20 %. Une enquête menée par Aviva Investors indique que les investisseurs institutionnels à l’échelle mondiale (dont les fonds européens) consacrent en moyenne 11,1 % de leurs portefeuilles aux marchés privés.

L’Europe à un tournant

L’Europe entre désormais dans une phase similaire. Plusieurs intervenants ont souligné que des contraintes opérationnelles, la gestion de la liquidité et la fragmentation réglementaire freinent encore l’adoption des marchés privés. Mais le vieillissement démographique, la montée des systèmes à cotisations définies et la concentration croissante des marchés publics autour de quelques méga-capitalisations pointent tous dans la même direction : les investisseurs de long terme devront élargir leurs outils.

Callum Stewart, responsable de l’élaboration des offres d’investissement chez Standard Life, a estimé que les régimes à cotisations définies (DC) disposent « d’horizons suffisamment longs » pour intégrer des actifs illiquides. Dans les faits toutefois, beaucoup de plateformes ne sont pas encore conçues pour gérer les appels de capitaux, les valorisations non quotidiennes ou les structures de frais propres aux marchés privés.

Pour Stephen Budge, associé en conseil chez Lane Clark & Peacock et spécialiste des régimes à cotisations définies, le défi en Europe est moins une question d’intérêt qu’une question d’exécution. De nombreux régimes n’ont ni la taille ni la gouvernance permettant d’évaluer les gérants de private markets, de négocier les conditions ou de suivre les flux de trésorerie. Une situation, selon lui, largement partagée en Europe.

Des portefeuilles intégrés

Un nombre croissant d’investisseurs institutionnels et de consultants plaident pour une intégration des marchés privés dans une approche globale, plutôt que comme des poches spécialisées. Paul Forshaw, directeur général de Future Growth Capital, une société de conseil en marchés privés, estime que les actifs privés doivent s’inscrire dans des stratégies multi-actifs cohérentes, afin que la liquidité et le risque soient maîtrisés au sein du portefeuille et non externalisés dans des segments isolés. Plusieurs investisseurs néerlandais et danois fonctionnent déjà selon ce modèle intégré, soutenu par une gouvernance centralisée solide.

« Les marchés privés ne peuvent plus être traités comme un compartiment à part, a insisté Paul Forshaw. Ils doivent être intégrés dans une stratégie de portefeuille globale, avec une gestion cohérente des flux de trésorerie et des risques. »

La question des coûts

Les frais restent une préoccupation pour de nombreux régimes européens. Eric Deram, directeur général de Flexstone Partners, filiale de Natixis Investment Managers, a estimé que si la vigilance sur les coûts est légitime, elle ne doit pas masquer une réalité structurelle : l’univers investissable des marchés publics se rétrécit à mesure que les entreprises non cotées captent une plus grande partie du cycle de croissance. James Lawrence, directeur de l’offre d’investissement chez Smart Pension, l’a résumé sans détour : « Le vrai risque pour les fonds de pension n’est pas d’investir dans les marchés privés, mais de rester en dehors de cette partie de l’économie. »

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